L’éducation et les rêves déplacés au Mali
Le climat de violence qui règne aujourd’hui dans la région de Mopti a obligé des centaines d’écoles à fermer. Mais un enseignant et son élève prouvent que l’éducation peut encore perdurer, même dans les milieux les plus difficiles.
SÉVARÉ, Mali – Les élèves de Boureima ont plaisir à être en classe. Le cadre est peut-être quelque peu conventionnel, même inconfortable, avec plus de 70 élèves se partageant une tente dans un coin d’un stade poussiéreux. Mais Boureima leur apporte quelque chose de bien plus précieux encore que les murs solides d’une salle de classe habituelle : une patience qui semble sans limites, et de la fierté pour ses élèves.
« Certains [élèves] étaient timides jusqu’à ce qu’ils voient qu’ils ne seraient pas punis » dit-il, expliquant que pour beaucoup d’enfants, apprendre et être puni allaient trop souvent de pair. « Mais lorsqu’ils voient que ce n’est pas le cas dans notre espace d’apprentissage, que l’on veut simplement que les élèves progressent, alors ils commencent vraiment à s’y mettre. »
La tente constitue l’un des espaces d’apprentissage temporaire mis en place par l’UNICEF et le Gouvernement du Mali à Sévaré, dans la banlieue de la ville de Mopti, au centre du pays, afin d’aider les enfants déplacés en raison de l’insécurité et la violence intercommunautaire à continuer leur éducation. Ces espaces ont pour but de fournir à la fois un havre de paix et les fondations de l’éducation. Dans certains cas, les espaces d’apprentissage ont permis à des enfants qui n’en ont jamais eu la chance d’aller à l’école.
La capacité de Boureima à communiquer une attitude bienveillante à ses élèves ne tient pas qu’au fait d’être qualifié pour ce métier. Étant lui-même déplacé, il comprend mieux que quiconque qu’il est nécessaire de faire preuve de douceur avec ces enfants qui ont fui des violences terribles.
Posez-moi toutes vos questions
Boureima exerçait auparavant le métier d’enseignant dans la ville de Bankass, à environ 100 kilomètres au sud-est de Sévaré. Il dit qu’il aimait y travailler, enseigner à des enfants issus d’une grande variété de milieux. Mais, alors qu’il entendait de plus en plus souvent parler d’histoires d’enlèvements et d’assassinats dans la région, il a commencé à penser à partir. L’assassinat d’un proche et l’attaque dévastatrice du village d’Ogossagou, qui a coûté la vie à 85 enfants, l’ont finalement poussé à partir pour Sévaré.
Aujourd’hui, il fait une véritable différence dans ce nouveau lieu. « Il y a des élèves qui ont vraiment le goût d’apprendre, mais à cause de cette crise ils ont dû quitter l’école et s’enfuir », dit-il. « Ils veulent vraiment comprendre. Ils me posent beaucoup de questions ! »
Rokiyatou, 11 ans, est l’une de ses élèves. Avant que la violence ne s’intensifie, Rokiyatou suivait les cours donnés par son oncle dans une petite école dans le cercle de Douentza à Mopti. Mais vu que la situation se détériorait, elle et son père ont été contraints de s’enfuir. Ils vivent désormais dans une tente dans le stade de Socoura à Sévaré, le camp officiel pour les déplacés internes à Mopti.
Rokiyatou suit avec plaisir les cours de Boureima : « Je l’aime bien », dit-elle avant de lire à haute voix quelques lettres qu’elle est en train d’apprendre. « C’est plus facile d’apprendre l’alphabet que de faire les additions », ajoute-t-elle souriante.
Boureima n’a que des compliments pour l’enthousiasme de Rokiyatou.
« Elle est intéressée par mes explications, et elle pose des questions quand elle ne comprend pas quelque chose », dit-il. « Elle fait vraiment des efforts. »
Un foyer, en attendant
Le bouleversement auquel Rokiyatou et son père ont dû faire face n’est que trop familier aux milliers de familles du centre du Mali.
Les attaques répétées dans la région, nourries par une violence intercommunautaire croissante et la présence de groupes armés, ont coûté la vie à de nombreux enfants, laissant d’autres blessés par balle ou brûlés, et ont séparé de nombreux jeunes de leurs familles. L’insécurité grandissante et une crise de déplacement de plus en plus importante ont à leur tour créé une crise de l’éducation, avec des centaines d’écoles forcées de fermer. À la fin de l’année scolaire 2018-2019, plus de 900 écoles sont restées fermées au Mali, affectant 276 000 enfants. La vaste majorité de ces enfants sont dans la région centrale de Mopti.
La conséquence pour les adultes comme pour les enfants est un sentiment constant d’incertitude quant à ce que réserve l’avenir – et où cet avenir se fera.
Boureima explique qu’il aimerait retourner dans sa ville d’origine et à sa vie d’enseignant. Mais il est conscient que cela pourrait ne pas être possible avant un moment. « C’est ce que je souhaite de tout mon cœur. Mais retourner là-bas avant le retour de la paix ne sera pas facile. »
Rokiyatou dit qu’elle voudrait être directrice d’école quand elle sera grande. Mais quand on lui demande où, un regard d'incertitude traverse son visage. « [Je serai directrice] là où je serai. »