Vivre dans la peur : le sort des enfants déplacés à cause de l’extorsion des gangs en El Salvador
Quand les familles n’osent plus s’aventurer hors de chez elles à cause de la violence des gangs, la migration est peut-être l’unique porte de sortie.
EL SALVADOR, 15 août 2018 – Julieta* a 14 ans et elle a peur depuis le jour où elle a entendu un homme menacer de tuer son père.
Cet homme faisait partie d’un gang et il lui extorquait de l’argent. Julieta savait que si son père refusait de payer, il allait probablement mourir. C’est ce qui était arrivé à un certain nombre de ses employés, elle l’avait vu.
Depuis plusieurs mois, la famille de Julieta vit dans une angoisse constante.
« J’étais si inquiète que j’en ai eu un torticolis », raconte-t-elle.
La vie normale qu’ils avaient menée n’était, semble-t-il, plus qu’un lointain souvenir.
De la stabilité à l'extorsion
Ana, la mère de Julieta, se souvient du temps où elle s’occupait du foyer, entièrement dévouée à prendre soin de ses deux enfants, Julieta et son frère âgé de 16 ans, Rodrigo, pendant que son mari investissait dans des affaires prospères.
Celui-ci est toutefois devenu une cible quand le succès est arrivé.
En El Salvador, les entrepreneurs qui réussissent sont régulièrement victimes d’extorsion par les gangs. Selon les statistiques de la police, en 2017, 1 588 extorsions ont fait l’objet d’une plainte dans le pays. La plupart des cas ne sont cependant jamais communiqués, par peur de représailles.
« La réussite financière de mon mari a bouleversé notre vie paisible », explique Ana.
Les gangs ont obligé José a les payer jusqu’à mener sa famille à la ruine.
La famille de Julieta vit maintenant dans la pauvreté la plus extrême et est recluse chez elle, dans l’une des municipalités les plus violentes d’El Salvador. « Nous nous sommes barricadés à l’intérieur de la maison », affirme Ana.
Une vie d'isolement
Aujourd’hui, Julieta ne sort plus de chez elle que pour se rendre dans une école privée et Rodrigo passe tout son temps à la maison, car leurs parents ne peuvent pas se permettre de payer pour les études des deux enfants. L’école publique n’est pas une option : les statistiques de 2017 montrent que 44,61 % (2 295) des centres éducatifs se trouvent dans des communautés où les gangs sont présents.
Rodrigo regrette le temps où il pouvait sortir et passer du temps avec ses camarades de classe. « J’aimerais pouvoir revenir à l’époque où j’étais petit, car je n’avais pas de problème. Je pouvais sortir dans la rue, jouer avec mes amis et mes voisins. Je n’aime pas la vie que mène actuellement. »
Aujourd’hui, Ana est la seule à avoir des revenus et elle doit soutenir toute la famille. « Je vends tout ce que je trouve, des pierres aux vêtements d’occasion [...] et à la première entrée d’argent, je vais acheter des haricots et des œufs. »
Lorsque la migration semble être l'unique porte de sortie
Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 59 400 personnes d’El Salvador ont demandé asile ou refuge dans d’autres pays en 2017.
Ana et sa famille n’avaient jamais pensé à émigrer jusqu’à maintenant. « Il faut être très courageux. Jamais nous ne prendrions le risque d’exposer nos enfants au pire », affirme-t-elle. « Pour nous, la première solution était d’abord d’épuiser tous les recours légaux. »
À présent, Ana estime toutefois qu’il est plus sûr pour elle et sa famille de se barricader à la maison plutôt que de déposer plainte auprès de la police ou du bureau du procureur.
« Dans ce pays, le secret n’existe pas, n’importe qui peut être vendu. Nous vivons à une époque marquée par la jalousie et l’égoïsme et les gens sont capables de tout », explique-t-elle.
Ana et sa famille ont récemment pris la décision de partir se réfugier dans un autre pays. « Nous n’avons pas envie de partir, nous aimons notre pays, mais, malheureusement, trop de gens l’ont rendu invivable. Soit nous partons, soit l’un des membres de notre famille risque la mort », déplore Ana.
Rodrigo est partagé à l’idée du départ. « Une partie de moi sait que c’est une bonne chose, mais d’un autre côté, je vais devoir abandonner beaucoup de choses : des gens que j’aime, ma famille, l’endroit où j’ai grandi. Tout autour de moi a une valeur sentimentale. »
L’UNICEF collabore avec les autorités locales et des organisations de la société civile pour mettre en place d’une stratégie de prévention de la violence et s’attaquer aux causes profondes des migrations et déplacements forcés. Dans le cadre de cette stratégie, l’UNICEF soutient des organismes comme l’Institut des droits de l’homme de l’université centraméricaine José Simeón Cañas (IDHUCA), qui vient en aide à des familles en leur proposant des services comme des conseils juridiques et une assistance psychosociale.
Il reste cependant beaucoup à faire pour protéger les personnes menacées par des gangs et lutter contre l’extorsion et la migration forcée.
*tous les noms de cet article ont été modifiés pour protéger l’identité de la famille