Massalata, le village champion pour les droits des enfants et des filles
Dans plusieurs villages du Niger, les communautés se mobilisent pour mettre fin au mariage des enfants et à toute forme de violence contre les femmes et les filles.

Massalata est un village de 5000 habitants, situé au bord de la route nationale, à cinq kilomètres de la commune de Konni, région de Tahoua et à moins d’un kilomètre de la frontière du Nigeria.

Hommes, femmes, jeunes filles et garçons arrivent des quatre coins du village pour répondre à la convocation du Hakimi (le chef), pour la réunion bimensuelle du Comité Villageois de Protection de l’Enfant. Mis en place en mars 2021 par l’UNICEF, ce comité villageois a pour mission de lutter contre les violences basées sur le genre et les pratiques culturelles néfastes, comme le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines.

Dans ce comité on retrouve le chef de village, l’imam, le directeur de l’école du village, le responsable du centre de santé, les relais communautaires, les femmes, ainsi que les adolescentes et jeunes. « Avant la mise en place de ce comité, je recevais beaucoup de plaintes de femmes victimes de violences conjugales, de filles sur le point d’être données en mariage ou encore des cas de viols. Avec nos actions de sensibilisation et les rencontres communautaires, nous avons quasiment mis fin à ces pratiques. Mais cela ne nous empêche pas de continuer à veiller sur le bien-être des enfants et des femmes du village, car il y a toujours des gens qui ont les oreilles dures. », raconte Ibro Issoufou, chef du village et président du comité.

« Les hommes pensaient avoir le droit de tabasser leurs épouses sansreprésailles et certaines familles croyaient que c’était normal d’exciser les jeunes filles. Nous rendons visite aux familles pour les inciter à solutionner les conflits entre couples de façon passive, à éviter de demander aux enfants de faire des travaux qui leur sont physiquement impossibles et à mettre fin à l’excision de la jeune fille, car c’est une violation grave des droits qui peut envoyer l’auteur en prison. », affirme Baraka Mamane, la présidente des femmes du village.

Dans cette mission en faveur du respect des droits de la jeune fille et des femmes, les leaders religieux ont un grand rôle à jouer et Adam Mamane, imam de la grande mosquée du village, l’a très vite compris en s’engageant auprès du comité : « la religion dit qu’on doit veiller sur les femmes et les enfants. Si nous ne le faisons pas, tôt ou tard, on subira les conséquences de notre inaction. Lors des prêches, j’insiste sur le respect des droits des enfants et femmes, sur l’utilisation des centres de santé par les femmes enceintes et les enfants. Mais aussi, sur l’importance de ne pas négliger la scolarisation des jeunes filles. »

L’une des vitrines des résultats enregistrés par les innombrables initiatives menées par la population de Massalata est sans nul doute le centre de santé du village. Ousmane Barthé, chef du centre de Santé Intégré, témoigne : « Les membres avaient pris l’engagement de faire du porte-à-porte, s pour sensibiliser les populations. Résultat : nous enregistrons de plus en plus de femmes qui respectent les consultations prénatales et les consultations des nourrissons. Les accouchements à domicile ont quasiment disparu. D’une fréquentation mensuelle moyenne de 300 patients en 2021, nous sommes aujourd’hui à plus de 800 patients par mois. C’est d’ailleurs grâce à la contribution communautaire et à la diaspora du village que nous avons acquis une ambulance et un corbillard. »

À l’école primaire de Massalata, Souley Oumarou, directeur de l’école, va bientôt finir son cours de français dans la classe de CM2 où il enseigne. « Voyez-vous comment la classe est pleine d’élèves ? Il y a autant de filles que de garçons. C’est le résultat de tout le travail mené par le comité villageois. Dans le passé, le taux d’abandon était élevé. C’est en général à la rentrée que nous apprenons de ses camarades de classe, que telle fille ne reviendra plus à l’école car elle a été donnée en mariage. Aujourd’hui, les parents ont compris qu’il est plus bénéfique pour eux de laisser leurs enfants continuer les études plutôt que les donner en mariage. », confie-t-il, avant d’ajouter : « de 47 nouveaux inscrits en 2019, cette année nous avons enregistré 150 nouveaux élèves pour la classe de C.I ! » Compte tenu de l’effectif exceptionnel enregistré pour cette rentrée scolaire, l’UNICEF, à travers le projet Lire, financé par la Banque Mondiale, a installé une classe provisoire pour accueillir les nouveaux élèves, tout en leur fournissant le matériel didactique pour l’apprentissage.

Laouida était en classe de CM2 lorsque sa meilleure amie a été retirée de l’école pour être donnée en mariage. Quatre ans après cette tragédie, la jeune fille en parle encore avec émotion : « j’étais triste, car je savais que ça allait être difficile pour elle de continuer l’école, et désemparée de ne pas pouvoir faire quelque chose pour empêcher ce mariage. »

Aujourd’hui, Laouida, en classe de quatrième, est membre du club des jeunes filles qui milite pour que plus aucune fille du village ne soit mariée très tôt. Elle explique : « en plus d’interrompre sa scolarité, le mariage des jeunes filles est source de beaucoup de problèmes pour la fille, nous a-t-on appris. En cas de grossesse, son corps n’est pas prêt pour porter l’enfant et l’accouchement sera très difficile. D’ailleurs, dans ce village, beaucoup de filles ont l’habitude de fuguer ou même de tenter de se suicider afin de fuir ce mariage et ses conséquences. » L’adolescente est rejointe par ses amies membres du comité, venues pour leur rencontre hebdomadaire.

« Depuis la mise en place de notre comité, nous avons dénoncé trois projets de mariage des jeunes filles, et tous trois ont été empêchés par le chef du village auprès duquel nous avons porté plainte », confie Moussaiba, 13 ans, avant d’ajouter : « nous sommes fières de savoir qu’aujourd’hui les parents ont le devoir de nous laisser achever nos études sans avoir à nous imposer quelqu’un pour le mariage. »
Le petit groupe se projette dans l’avenir : policières, gendarmes, enseignantes ou encore médecin.

Au Niger, 76 % des filles âgées de 20 à 24 ans sont mariées avant leur 18 ans et 28% avant 15 ans. Les violences que subissent les femmes et les filles, à l’école, dans un foyer ou dans la société, sont souvent des sujets tabous.
A ce jour, grâce au financement de l'Union européenne et de Clé de Peau Beauté, 2209 Comité Villageois de Protection de l’Enfant, 15 Centres d’Écoute, 78 groupes/réseaux de défenseurs des droits des femmes ont été créés dans huit régions du Niger pour favoriser le dialogue, les échanges et les efforts de plaidoyer.