A l’aube d’une crise alimentaire annoncée, les tourments d’un chef de famille

"On a cru qu’elle ne passerait pas la nuit"

Dorothée Thienot
On a cru qu’elle ne passerait pas la nuit
Sarah Leduc
31 mai 2022

Le Niger compte parmi les 10 pays du monde les plus atteints par la malnutrition aigüe sévère chez les enfants de moins de 5 ans, malgré les efforts du gouvernement et de ses partenaires. Aux difficultés structurelles du pays viennent se greffer d’autres inquiétudes.

« On a cru qu’elle ne passerait pas la nuit. Elle avait les yeux révulsés et ne bougeait plus. On a eu très peur mais, Dieu merci, ça va mieux. » Mohamed Ahmed tremble encore en pensant à ce que sa petite fille vient de traverser.

Mohamed Ahmed est le père aimant de la petite Zeina. Âgée de 2 ans, elle a quitté le Centre de récupération et d'éducation nutritionnelle intensif (CRENI) de Tahoua le matin même. La veille encore, elle était silencieuse, le regard perdu dans le vague, dans les bras de sa maman. Elle aura passé quatre jours, pour malnutrition aiguë sévère. Entourée d’autres enfants silencieux et immobiles, Zeina a suivi un traitement avec du lait thérapeutique special pour les enfants dans sa situation. Elle  devra prendre des médicaments et des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi pour quelques semaines encore. « Tous les médicaments que le CRENI avait en stock nous ont été donnés. Nous sommes tellement reconnaissants », murmure l’homme.

A l’aube d’une crise alimentaire annoncée, les tourments d’un chef de famille
Sarah Leduc

Sa maman l’a sevrée pendant le ramadan. La nourriture partagée par toute la famille n’a pas suffi : quand Zeina a d’abord eu des accès de fièvre, la nuit, la famille ne s’est d’abord doutée de rien. Aucun de leurs neuf enfants n’a jamais été hospitalisé pour malnutrition.

Entouré de sa femme et ses enfants, Mohamed observe en souriant sa dernière retrouver la vitalité qu’elle avait perdue. En apparté, il se dit inquiet pour l’avenir de ses enfants.

La famille a quitté Tchintabaraden, à 150 kilomètres de Tahoua, il y a 5 ans, à la mort du père de Mohamed. L’héritage -le troupeau- a été partagé entre les frères, et le bétail reçu ne suffisait plus pour nourrir sa famille. La famille s’est donc éparpillée dans le pays, Mohamed et les siens choisissant Tahoua. « C’est le manque de richesse qui nous a amenés ici. Maintenant, on est obligés de travailler sous les autres », constate le touareg. « On résiste, parce que je veux que mes enfants aillent à l’école, contrairement à moi. Sinon j’aurais pris la route pour la Libye ou l’Algérie depuis longtemps. »

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Sarah Leduc

Devenu gardien de parking pour poids lourds, l’ancien éleveur pourvoit seul aux besoins de la famille. Avec un salaire de 40 000 FCFA par mois, il peine à joindre les deux bouts.

Il ne se plaint pas, mais constate que la hausse des prix des aliments l’oblige à rationner la famille : « le sac de riz coûtait 10 à 11 000 Francs CFA, aujourd’hui il coûte 13 000. Le sucre, le mil ont augmenté. Le bidon de 5 litres d’huile coûtait 4 000 CFA, je l’achète maintenant à 7 000 Francs. »

Mohamed est pris au cœur d’une tourmente qui menace le pays entier, liée notamment aux conséquences de la COVID-19 et au conflit en Ukraine, à la sécheresse, à l’insécurité grandissante dans le pays.

"On a cru qu’elle ne passerait pas la nuit"
Sarah Leduc

D’après les projections, le prix des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi devrait enregistrer jusqu’à 16 % d’augmentation au cours des six prochains mois en raison de l’envolée du coût des matières premières. Les coûts d’expédition et de distribution, également élevés, ne devraient pas non plus baisser, alors que les besoins dans ces produits spécifiques devraient augmenter à partir de juin avec le début de la période annuelle de soudure.

Au Niger, l'approvisionnement en aliments thérapeutiques prêts à l'emploi (RUTF) a pu être assuré grâce au soutien de partenaires, tels qu'ECHO, CERF et le bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth. 

Le financement du FCDO a contribué au traitement de 30 723 enfants âgés de 6 à 59 mois souffrant de malnutrition aiguë sévère (MAS), dont 3 292 avec des complications médicales, dans les cinq régions ciblées. Cela représente 12 % des 257 563 enfants (133 933 filles et 123 630 garçons) admis pour traitement dans ces cinq régions (dont 33 483 avec des complications médicales) et 7 % des 430 708 enfants atteints de MAS dans le pays (dont 63 339 avec des complications médicales). 

Les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes et allaitantes ont également reçu des messages sur les pratiques optimales en matière de soins maternels et d'IYCF au niveau des ménages/communautés par le biais de 1 517 groupes de soutien aux mères. Le personnel du centre de santé a aidé les bénévoles à maintenir ces plateformes communautaires actives.

Ces groupes sont accessibles à toutes les femmes de leur zone d'influence et servent de plateforme pour partager des connaissances sur la nutrition, en se concentrant sur la promotion de pratiques maternelles optimales, afin d'améliorer l'état nutritionnel des femmes enceintes et allaitantes et des enfants de moins de 5 ans.

 

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Sarah Leduc