D’Assamaka à Agadez, des services de protection au service des enfants vulnérables
Depuis le début de l'année 2023, l'UNICEF a pris en charge 263 enfants non accompagnés, rapatriés d'Algérie. En 2022, 29 convois ont rapatrié des Nigériens, dont 2285 enfants non accompagnés. Parmi eux, 93 victimes de traite.

Assamaka est une petite ville au milieu du désert, à la frontière entre Algérie et Niger. Le vent y souffle sans cesse, le sable s’engouffre partout. Côté nigérien, des camions attendent de partir à Tahoua et Agadez remplis notamment de biscuits, pâtes alimentaires et lait en poudre, subventionnés au Maghreb et interdits à l’exportation.
Au beau milieu des dunes on aperçoit des silhouettes - des hommes, pour la plupart, à pied. Ces expulsions dites « non officielles » comprennent des ressortissants de l’Afrique de l’Ouest et Centrale, aussi appelés les « piétons ». Ceux qui les précédent, généralement un ou deux jours avant les piétons, sont en majorité des Nigériens : ce matin-là, ils sont 1124 individus dans le convoi officiel qui les ramène d’Algérie.
Dès leur arrivée sur le sol nigérien, 128 mineurs sont identifiés et pris en charge par des travailleurs sociaux de la Direction Régionale de la Promotion de la Femme et de la Protection de l’Enfant (DRPE). Au nombre de 7 dans la région, avec l’appui de l’UNICEF, ces travailleurs sociaux se consacrent uniquement aux enfants nigériens isolés -qu’ils aient fugué, aient été rejetés par leur famille, ou enfin, pour la plupart, envoyés dans un parcours migratoire qui les condamne à la mendicité, et les expose à des risques décuplés par leur âge.
En Algérie, les « marraines » qui prennent en charge les enfants prennent leur part sur l’argent récolté par les enfants qui mendient aux feux rouges. « Les femmes font croire que ces enfants sont les leurs, mais la plupart du temps, ils leur ont été confiés par leurs parents, originaires de la même région qu’elles », explique un travailleur social, alors qu’a commencé le décompte dans la grande enceinte à ciel ouvert du commissariat, balayée par le vent et le sable. « Acculés, cultivateurs pour la plupart, les parents ont entendu dire qu’envoyer un enfant mendier en Algérie pouvait rapporter de quoi rembourser des dettes, vivre un peu mieux, ou un peu moins mal. »

Ce matin-là, parmi les Nigériens rapatriés, figure une fratrie de trois enfants, seuls. L’aîné, âgé de 13 ans, explique : « nous vivions dans un chantier abandonné à Alger avec ma mère, ma sœur de 7 ans et mon petit frère nourrisson. En l’absence de mon père, et ma mère malade, toutes les charges me revenaient. »
Chaque jour, les enfants partaient mendier dans les rues d’Alger pour pouvoir payer le traitement de leur mère, souffrant d’une forme grave de diabète. Lorsqu’ils ont été raflés, après quelques jours passés dans le centre de rétention « Camp Ibrahim », la jeune mère et ses enfants ont été chargés avec d’autres Nigériens dans un bus. « Sur la route vers Tamanrasset, l’état de ma mère s’est aggravé et j’ai demandé au chauffeur de nous conduire à l’hôpital pour la soigner, mais il a refusé. J’ai aussi demandé de pouvoir l’amener moi-même à l’hôpital, mais il a encore refusé. J’ai essayé de lui faire sa piqûre comme d’habitude, mais cette fois-ci je n’ai pas pu, la seringue s’est cassée. »
Le jeune garçon poursuit son récit calmement, mâchoires serrées, son petit frère dans les bras : « A quelques kilomètres du camp de Tamanrasset, j’ai constaté que ma mère était morte sur son siège. Arrivé au camp de Tamanrasset les militaires ont fait descendre du bus tous les passagers -sauf ma mère, que je n’ai pas réussi à porter. Je les ai suppliés de me laisser lui faire mes adieux et des invocations («Doua’a ») mais ils ont refusé. Je ne sais pas si ma mère a été enterrée ou pas. »
Avec les autres enfants, la fratrie passera la nuit à Assamaka en attendant l’escorte militaire qui les mènera à Arlit, avant d’arriver à Agadez, au Centre de Transit et d’Orientation (CTO).
Au CTO, le décor se veut rassurant. Aux murs, des personnages de dessins animés, des fresques relatant le parcours migratoire de ces enfants. Les peintures représentant des militaires ont été grattées par les enfants. Ceux qui arrivent ce jour-là sont recouverts de poussière, épuisés. Certains sont blessés, une jeune fille se tape compulsivement sur la tête. Les plus jeunes se précipitent sur les balançoires et les toboggans, les autres vers les douches.

« Beaucoup de ces enfants arrivent traumatisés par leur parcours. Leur passage dans ce CTO leur permet de se reposer, se laver, se nourrir… mais aussi de jouer et parler de ce qu’ils ont traversé, et ainsi d’évacuer en partie le stress qu’ils ont subi. », explique Fatimoutou Alhousseini, travailleuse sociale. Le soir, une veillée est organisée : les enfants chantent, dansent, prennent le micro à tour de rôle pour raconter ce qu’ils ont traversé.
Un dossier de protection est ouvert pour chaque enfant. Ce dossier les suit jusqu’à leur localité d’origine afin d’assurer le suivi. En effet, une partie de la mission des travailleurs sociaux consiste à gérer la médiation avec les familles. Les travailleurs sociaux ont pu faire le lien avec la DRPE de Zinder, qui a localisé la famille des trois enfants. Ces derniers ont pu être relogés chez leur grand-mère.

En 2022, 29 convois ont rapatrié des Nigériens depuis l’Algérie. Parmi eux figuraient 2082 enfants non accompagnées et 81 enfants séparés. Au total, 2285 enfants non accompagnés, dont 980 filles et 93 victimes de traite, ont été pris en charge au CTO d’Agadez, réhabilité par l’UNICEF en 2019.
Ses frais de fonctionnement sont pris en charge par l’UNICEF, grâce à la subvention octroyée par l'Union européenne dans le cadre du projet « Accès à la justice pour les enfants en mobilité et les autres enfants vulnérables en Afrique de l'Ouest ».
