« Ils m’ont dit qu’ils allaient me tuer si je n’arrêtais pas de pleurer »

Au Soudan du Sud, de nombreuses adolescentes libérées par des groupes armés continuent de vivre un calvaire.

Kate Holt
Au Soudan du Sud, une adolescente montre les cicatrices que lui a laissées son expérience d’enfant-soldat
UNICEF/UN0272658/Holt
12 février 2019

YAMBIO, Soudan du Sud – Mary* n’avait que 12 ans lorsque trois hommes les ont enlevées, sa sœur et elle, le long d’un chemin au Soudan du Sud. Terrifiée, la petite s’est mise à sangloter. Ses ravisseurs lui ont intimé d’arrêter de pleurer, la menaçant de la tuer.

Cet événement a marqué le début d’un long calvaire pour Mary, qui a été emmenée dans un camp de rebelles où elle a été contrainte de travailler pendant trois ans, avant de réussir à s’échapper.

Lorsqu’ils entendent parler des enfants-soldats, la plupart des gens se représentent un enfant portant une arme. En réalité, tous les enfants ne participent pas aux combats. Mary, par exemple, avait pour tâche d’aller chercher du bois et de l’eau pour les rebelles. Et bien qu’elle ait dû apprendre à manier une arme, seules les filles les plus âgées étaient armées.

 

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Aujourd’hui âgée de 16 ans, Mary va à l’école primaire aux côtés de nombreux autres enfants soutenus par l’UNICEF dans le cadre d’un programme de réintégration. Ce programme, axé sur la formation professionnelle, vise à donner à ces enfants les moyens de subvenir à leurs besoins.

Mais Mary est toujours assaillie par les souvenirs des sévices qu’elle a subis dans le camp.

« Les souvenirs n’arrêtent pas de remonter et je suis terrifiée à chaque fois que je vois un soldat avec une arme », raconte la jeune fille, qui explique que le plus difficile pour elle depuis qu’elle s’est enfuie, c’est le souvenir de tous ces coups de feu. « À chaque fois que j’y pense, je me mets à pleurer. »

Elle ajoute que les enfants détenus étaient soumis à des punitions très dures.

« Ils nous battaient et nous obligeaient à ramper sur les coudes et les genoux. On s’arrachait toute la peau des coudes », témoigne-t-elle.

 

Au Soudan du Sud, une fille passe au tableau dans une salle de classe située à Yambio.
UNICEF/UN0272634/Holt
Mary, qui a été retenue captive au sein d’un groupe armé, passe au tableau dans une salle de classe située à Yambio, au Soudan du Sud.

 

L’histoire de Mary est loin d’être un cas isolé dans ce jeune pays, où, selon les estimations de l’UNICEF, 19 000 enfants ont été utilisés par des forces et des groupes armés depuis le début du conflit en 2013.

Si certains enfants arrivent à s’enfuir ou sont libérés par leurs ravisseurs, cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont arrivés au bout de leur peine : ils doivent encore trouver de quoi se nourrir et un endroit où dormir – et retrouver leur famille.

L’UNICEF a contribué à la libération de 955 enfants détenus par des groupes armés en 2018 et plusieurs autres libérations sont prévues en 2019. Durant la cérémonie de libération, les enfants sont désarmés et reçoivent des vêtements civils, le cas échéant. Ils bénéficient ensuite d’examens médicaux et d’un soutien psychosocial dans le cadre d’un programme de réintégration mis en œuvre par l’UNICEF et ses partenaires. L’UNICEF les aide aussi à retrouver leur famille.

 

Une situation plus compliquée qu’il n’y paraît

On a souvent tendance à penser que les enfants qui servent dans les rangs de forces et de groupes armés ont été enlevés ou enrôlés de force. Là encore, la réalité est parfois plus complexe, comme dans le cas d’Esther et de nombreux autres enfants.

La jeune fille, qui tient son bébé enveloppé dans une couverture rose sur ses genoux, explique qu’elle a volontairement rejoint un groupe armé il y a quatre ans. Âgée de 14 ans à l’époque, elle avait abandonné l’école et ne voyait pas d’autre solution.

 

Esther, 18 ans, tient son bébé dans ses bras à Yambio, au Soudan du Sud. La jeune fille a été recrutée par un groupe armé à l’âge de 14 ans. Elle est tombée enceinte et a accouché de sa fille après sa libération
UNICEF/UN0272588/Holt
Esther, 18 ans, tient son bébé dans ses bras à Yambio, au Soudan du Sud. La jeune fille a été recrutée par un groupe armé à l’âge de 14 ans. Elle est tombée enceinte et a accouché de sa fille après sa libération.

 

Comme Mary, la jeune fille a assisté à des échanges de tirs terrifiants et a vu des gens se faire tuer autour d’elle. Cependant, ces événements, ainsi que les passages à tabac auxquels elle était régulièrement soumise, n’ont pas suffi à la dissuader de faire partie d’un groupe armé.

« J’aimais porter une arme et être soldat », explique-t-elle. « J’avais l’impression d’avoir un but et une mission à accomplir chaque jour. Je voulais devenir comme ces soldats qui avaient du pouvoir et un travail à réaliser. »

Justin Augustino Kirima dirige un centre de formation professionnelle à Yambio, où d’anciens enfants-soldats apprennent la couture, la charpenterie ou la construction. Il est bien placé pour savoir à quel point la réadaptation peut être difficile pour ces enfants une fois qu’ils ont déposé leurs armes.

« Au début, c’était très difficile. Ils n’écoutaient pas les moniteurs et se montraient hostiles. Ils n’avaient rien à faire de nos instructions », explique Justin, ajoutant que les services de conseil sont souvent utiles pour aider ces enfants à se relever.

 

Il faut du temps pour cicatriser, tant physiquement que psychologiquement.

Rose, 17 ans, a toujours du mal à surmonter son enlèvement et les trois mois qu’elle a passés avec un groupe armé.

« On était maltraités. Ils nous attachaient les mains avec une corde en prenant soin de bien serrer et ils nous donnaient des choses à porter », confie-t-elle dans un Centre de transit pour enfants où elle est hébergée temporairement. « Parfois, ils nous disaient de courir, et si on ralentissait, ils nous frappaient avec des bâtons. Un jour, je suis tombée et ils m’ont rouée de coups. J’ai failli mourir. »

 

Au Soudan du Sud, une adolescente est assise dans un Centre de transit pour enfants à Yambio
UNICEF/UN0272662/Holt
Rose est assise dans un Centre de transit pour enfants situé à Yambio, au Soudan du Sud. La jeune fille a été enlevée par un groupe armé dans la maison dans laquelle elle vivait avec son mari et a été retenue captive pendant trois mois.

 

Rose, dont les bras sont couverts de cicatrices à la suite de son passage dans le camp, a fini par tomber malade. Mais ses ravisseurs l’ont obligée à continuer de travailler, lui ordonnant de couper l’herbe à la main et de porter des poteaux pour la construction.

La jeune fille a même été violée sous la menace d’une arme après avoir refusé de devenir la petite amie d’un soldat. Finalement, certains rebelles ont eu pitié d’elle et l’ont libérée. Mais elle continue d’être hantée par le souvenir de ce viol et elle s’inquiète de la réaction de son mari lorsqu’il apprendra ce qu’il s’est passé.

« Je n’arrive pas à me sortir de la tête ce qu’il m’est arrivé », dit-elle.

 

*Tous les prénoms ont été changés afin de protéger l’identité des enfants.

 


 

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