Les visages du courage
Alors que la République centrafricaine sombre plus profondément dans une crise humanitaire, voici cinq héros locaux bien déterminés à protéger les enfants de ce pays.

Le photographe Ash Gilbertson s’est rendu avec l’UNICEF en République centrafricaine, où près de deux enfants sur trois – soit environ 1,5 million d’enfants – ont de toute urgence besoin d’aide à l’heure où la crise humanitaire s’aggrave. Il a rencontré quelques-uns des Centrafricains qui font preuve d’une bravoure, d’une résilience et d’un engagement remarquables en faveur des enfants de leur pays.
Tangury Mandakatcha : protectrice d’enfants
Ces deux dernières années, Tanguy Mandakatcha, 34 ans, a accueilli 11 enfants séparés de leurs parents par les combats en République centrafricaine. Les enfants vivent avec Mandakatcha, son mari et leurs trois enfants dans leur domicile familial situé dans un quartier chrétien de la ville de Bambari. Ils y resteront jusqu'à ce qu’Espérance – l’ONG bénéficiant du soutien de l’UNICEF où travaille Mandakatcha, spécialiste de la violence liée au genre – parvienne à localiser leur famille et à vérifier qu’ils peuvent y retourner en sécurité. Seydou Ousmane, 8 ans, est le dernier arrivé des 11 enfants placés dans la famille et le premier à être musulman.
« Je suis une protectrice d'enfants », déclare Mandakatcha. Seydou a perdu sa mère, et son père a été tué dans les combats. Il raconte avoir parcouru à pied les 50 km depuis sa ville de Maloum, puis avoir été pris en charge par un camionneur qui l’a déposé sur la place du marché de Bambari. Il y a dormi avec d'autres enfants des rues jusqu'à ce qu'un agent humanitaire le trouve et le conduise à Espérance. D’après Mandakatcha, aucun de ses voisins ne lui a dit désapprouver qu'elle accueille un enfant musulman. « C’est une période de crise », affirme-t-elle. « Il y a tellement d'enfants qui ont besoin d'aide. Ce n'est qu'un enfant. »

Gbiassango Kommando Alain: directeur d’école primaire
Quand les combats ont éclaté à Bambari en avril 2014, Gbiassango Kommando Alain, directeur de l’École Application Mixte, s’est dépêché de faire le tour des salles de classe de l'école, de dévisser les fenêtres et portes en bois et de les cacher chez lui pour qu'elles ne soient pas volées. Tout le reste a été pillé et des cadavres ont été jetés dans le puits de l'école. Pendant les dernières vacances d'été, environ 80 élèves, déplacés pour beaucoup d'entre eux, ont participé à une session de rattrapage organisée à l’École Application Mixte avec l'appui de l’UNICEF pour compenser les jours d'école perdus.
« Nous avons besoin de sécurité. Une fois que nous serons en sécurité, vous verrez toutes les écoles rouvrir et tous les enfants y retourner », explique Alain. « Tout ce qui s'est passé dans ce pays est dû au fait que les gens ne sont pas allés à l'école et sont ainsi devenus des bandits et des rebelles. L'école enseigne la citoyenneté et les droits. La cohésion sociale commence dans les écoles et là où il y a cohésion sociale, il y a la paix. »

Jacqueline Tchebemou : médecin dans le seul hôpital pédiatrique du pays
Le docteur Tchebemou travaille dans le seul hôpital pédiatrique de la République centrafricaine, soignant un flot apparemment sans fin d’enfants atteints des formes les plus sévères de malnutrition.
« C’est vraiment triste car c’est une maladie qui peut être évitée. Mais nous voyons encore des dizaines de cas par jour. Parfois, les enfants arrivent dans un état très grave », explique-t-elle. « Ils sont tout de suite emmenés au service d’urgence et certains meurent. C’est très difficile. La situation est déplorable et empire. » À l’heure actuelle, plus de 43 000 enfants de moins de cinq ans ont un risque extrêmement élevé de mourir de malnutrition aiguë sévère. Le nombre d’enfants atteints de cette forme de malnutrition mortelle a augmenté d’un tiers depuis 2014.

Célestine Yaya : sage-femme de quartier
Célestine Yaya est sage-femme traditionnelle. Elle a été formée par des missionnaires en 1985 et a depuis vu naître des milliers d’enfants. Aujourd’hui, dit-elle, elle aide jusqu’à dix femmes par jour à accoucher, dans une pièce de sa maison de briques d’adobe, sans médicaments ni machines. Les mères qui viennent la voir n’ont pas le choix – l’hôpital le plus proche est à environ trois kilomètres sur un chemin de terre. Il y avait auparavant une ambulance qui fonctionnait mais elle sert maintenant à conduire les médecins entre leur domicile et leur travail et les femmes n’ont pas de quoi payer un mototaxi. L’hôpital ne facture pas les soins mais les femmes ne sont soignées que si elles peuvent prendre en charge le coût des gants, des compresses ou des médicaments. « Je travaille pour l’avenir et je forme d’autres femmes qui viendront après moi », explique Yaya.

Laurent* (prénom modifié): ancien enfant-soldat
Laurent*, 20 ans, a été enfant-soldat pendant environ 18 mois en République centrafricaine. Il a été libéré en août 2015 et a alors passé un an dans un programme de réintégration bénéficiant du soutien de l’UNICEF. En septembre 2018, il avait été formé au métier de mécanicien et avait appris à faire pousser des légumes et élever du bétail, en plus d'avoir acquis les bases de la lecture et de l'écriture.
Début décembre 2013, se souvient Laurent, il a rejoint la milice anti-Balaka à Bangui. C'était le jour où, encouragés par des groupes armés, les musulmans et les chrétiens se sont livrés à des massacres. « Ils [les Séléka] sont venus dans mon quartier. On a été attaqué et on s'est défendu », raconte-t-il.
« Pour moi, ça va maintenant », ajoute Laurent. « Je peux gagner ma vie. Mais si l'UNICEF veut vraiment aider, alors faites sortir tous les enfants des groupes armés. Parcourez le pays pour trouver tous les enfants qui n'ont rien, qui dorment dehors sans toit. Mettez-les à l'école. S'ils ne veulent pas s'instruire, tant pis, mais s'ils le veulent, vous devez les aider. Beaucoup de filles sont forcées de vendre leur corps simplement pour survivre et cela ne devrait pas être ainsi. Ce dont nous avons besoin, ce sont des emplois. Tant que je peux gagner assez d'argent tous les jours pour me nourrir, je n'y retournerai jamais. »