Les séquelles permanentes du conflit en Iraq
Les armes explosives font partie des pires dangers qui pèsent sur les enfants durant les conflits armés – et après.

Les ravages des armes explosives subsistent pendant de nombreuses années, bien longtemps après la fin d’un conflit, même lorsque les sons terrifiants des coups de feu, des mortiers et des roquettes ont fini par disparaître. Les mines terrestres et les munitions non explosées ou abandonnées continuent de tuer et de mutiler les enfants et leur famille, leur laissant des séquelles permanentes, tant physiques que psychologiques. L’Iraq reste l’un des pays les plus contaminés par les objets explosifs, lesquels continuent d’anéantir la vie des enfants alors qu’ils se livrent à leurs activités quotidiennes – aller à l’école, participer aux tâches ménagères ou jouer avec leurs amis.


Hussein, 5 ans, jouait au foot avec son frère quand un objet a explosé sous ses pieds, lui ouvrant le ventre et lui arrachant une partie de l’oreille droite. « On a tapé dans quelque chose, de la poudre est sortie et ça a explosé », témoigne le petit garçon. « C’est la seule chose dont je me souviens. » Hussein et son frère vivent désormais avec leur grand-mère dans un camp pour personnes déplacées à l’intérieur du pays dans la province d’Anbar. Les proches d’Hussein nous expliquent qu’il a été traumatisé par l’explosion dont il a été victime en novembre 2021 et qu’il se montre parfois agressif envers les membres de la famille depuis l’accident.

Muqtada avait 16 ans quand un objet a explosé sur son chemin, le blessant gravement. Il s’est traîné jusqu’à une voiture qui approchait, espérant que le conducteur lui vienne en aide. Celui-ci s’est arrêté, mais n’est pas sorti de son véhicule craignant la présence de mines terrestres dans la zone. Muqtada a réussi à monter dans la voiture avant de s’évanouir. Il n’a plus aucun souvenir de l’explosion, il se rappelle seulement s’être réveillé à l’hôpital avec une jambe en moins. « Avant, je jouais au foot tous les jours et je sortais avec mes amis. Maintenant, ce n’est plus possible », témoigne-t-il.


Zainab se souvient uniquement de la chaleur infernale qui a suivi l’explosion. Cinq jours plus tard, elle s’est réveillée dans un hôpital de la région de Basra, dans le sud de l’Iraq, le corps brûlé et des éclats d’obus dans les yeux. Son réveil s’est accompagné d’une terrible nouvelle : sa mère était morte dans l’explosion. On lui a aussi annoncé que ses yeux avaient été abîmés et qu’elle ne verrait plus jamais.
« Quand je pense à elle, je me mets à pleurer. J’ai perdu mes yeux et j’ai perdu ma mère », témoigne la jeune fille. « Elle était toute ma vie. Elle me manque. »
Zainab nous explique qu’elle veut retourner à l’école, mais que les établissements scolaires de la région ne sont pas en mesure de prendre en charge une élève handicapée comme elle. Pour le moment, elle ne peut quasiment rien faire sans son frère aîné, Abdel. Mais la jeune fille est déterminée à poursuivre sa scolarité. « Je ne perds pas espoir », affirme-t-elle. « Je veux aller en Inde pour me faire opérer et retourner à l’école. »


En Iraq, comme dans d’autres pays, les enfants sont particulièrement vulnérables aux restes explosifs, inconscients de leur dangerosité et parfois attirés par leur aspect coloré. Certains engins explosifs ont été dissimulés dans des objets du quotidien.

Les mains de Nour se mettent à trembler lorsqu’elle se remémore cette attaque survenue en 2017. « Nous avons perdu 13 membres de notre famille, dont ma mère, ce jour-là », explique-t-elle. Noor devient silencieuse tandis que lui reviennent les souvenirs de l’incident et cherche du réconfort dans les yeux de son oncle. La famille peine à se remettre de la tragédie, mais espère voir venir des jours meilleurs avec l’arrivée d’un nouveau bébé – la nièce de Noor.



Hanan, 11 ans, s’occupait du bétail avec son père quand un objet a explosé, les propulsant tous les deux dans les airs. Le père d’Hanan a perdu un bras et la quasi-totalité de la vue, tandis que la jeune fille s’en est sortie avec des brûlures et d’autres blessures. « J’ai été blessée au ventre. Je suis restée à l’hôpital pendant deux mois, parce que j’avais des éclats d’obus dans le corps et dans les yeux », indique Hanan, se remémorant le jour où sa vie a basculé de manière irréversible. Elle explique qu’elle ne sort quasiment plus de chez elle, et que les activités des enfants de son âge ne l’intéressent pas.


Des années de conflit ont creusé un immense fossé entre le soutien dont ont besoin les enfants en proie aux effets de la violence et les ressources disponibles pour leur venir en aide.


Ali, 17 ans, a perdu ses deux mains à cause d’un tir d’obus dans l’ouest de Mossoul, en 2017, où il a été pris au milieu d’un combat. « La vie est très compliquée » depuis le tir d’obus, indique le jeune homme, qui utilise désormais une prothèse de bras. « J’ai dû abandonner l’école parce que je ne supportais plus le harcèlement dont j’étais victime. » Ali peine à trouver du travail, les potentiels employeurs le pensant incapable de réaliser certaines tâches. « J’aimerais travailler dans un magasin. Je me sens compétent et utile malgré mon handicap », affirme-t-il.

Les survivants de munitions explosives n’ont pas seulement des séquelles physiques : ils doivent aussi faire face à de multiples conséquences sociales. Ils sont notamment séparés des membres de leur famille et de leur communauté, ou victimes de discrimination de leur part, ont des difficultés à acquérir une autonomie financière, et sont moins susceptibles de se marier. Les personnes amputées sont aussi plus vulnérables à la stigmatisation sociale, au rejet et au chômage.

En 2021, 125 enfants ont été tués ou mutilés à cause de restes explosifs de guerre et d’autres munitions explosives en Iraq. Face à cette situation, l’UNICEF œuvre avec des partenaires pour renforcer les systèmes de protection de l’enfance et les programmes de sensibilisation aux dangers dans le pays. La même année, en Iraq, l’UNICEF a atteint près de 69 000 enfants à risque et formé plus de 4 000 professionnels pour sensibiliser les enfants aux dangers des munitions explosives afin de réduire les risques de blessures et de décès.


« Nous rencontrons de nombreuses familles et victimes, en particulier des enfants. Leur état psychologique est parfois préoccupant », indique Aya, agente de terrain de Bustan, une ONG soutenue par l’UNICEF. « Les enfants ont subi un choc d’une telle ampleur qu’ils n’arrivent pas à parler de ce qui s’est passé. Ils gardent leur douleur pour eux depuis qu’ils sont petits. » Le travail d’Aya consiste à sensibiliser la population, en particulier les enfants, aux dangers des restes explosifs de guerre.

En 2013, la vie de Dalia a basculé lors d’une banale sortie au supermarché avec ses parents. La famille était partie acheter des cahiers pour la rentrée scolaire. Elle ne pouvait pas savoir que des explosifs avaient été collés sous le caddie. Des douzaines de personnes ont été tuées dans l’explosion. Dalia entend encore les cris et voit toujours les corps démembrés à travers la fumée.
Après avoir passé plusieurs jours à l’hôpital, elle a commencé à remarquer qu’elle ne sentait plus ses jambes. « J’ai perdu deux années de cours à cause de la rééducation et des fermetures d’école », indique la jeune fille, qui doit désormais se déplacer en fauteuil roulant.
L’histoire tragique de Dalia est bien trop courante pour les enfants qui grandissent dans l’ombre du conflit. Heureusement, les survivants font preuve d’une force et d’une détermination extraordinaires. « Malgré mon handicap, je suis toujours passionnée par les chiffres et les mathématiques », affirme-t-elle. « Je suis déterminée à continuer de me battre pour réaliser mon rêve de monter ma propre entreprise un jour. »