L’éducation prise pour cible : Six portraits
Dans le monde entier, la violence prive les enfants de la possibilité de recevoir une éducation
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Des vitres brisées. Des sols jonchés de débris provenant des plafonds démolis par les bombes. Des murs criblés d’impacts de balle. Ces salles ne sont pas faites pour des enfants. Sauf que si. Car ce sont des salles de classe, ou plutôt ce qu’il en reste.
Dans le monde entier, les attaques contre les enfants se poursuivent sans relâche, à mesure que les belligérants méprisent l’une des règles les plus fondamentales de la guerre : la protection des enfants. Les enfants vivant dans des pays en guerre sont directement pris pour cible, utilisés comme boucliers humains, tués, mutilés ou recrutés par des groupes armés. Par conséquent, des millions d’enfants sont privés d’un lieu sûr où apprendre et jouer avec leurs amis. Si on ne les aide pas, beaucoup d’entre eux seront également privés d’avenir.
« Je déteste les combats » : Ehsanullah, Afghanistan

Ehsanullah vient d’une famille de neuf enfants, mais c’est pour l’instant le seul à aller à l’école. Après la classe, il aide habituellement son père à la ferme, il ne lui reste donc pas beaucoup de temps pour jouer avec ses amis.
Ehsanullah vit à Zhari, district de la province méridionale de Kandahar. La route reliant la ville de Kandahar, capitale de cette province, à Zhari traverse des paysages verdoyants ponctués de vignes et de plantations de grenadiers qui font la renommée locale de la région. À l’approche de Zhari, on voit apparaître des maisons faites de boue de plain-pied, entourées de routes et chemins étroits et sinueux.
« Je déteste les combats. Ils ont détruit notre école. »
Zhari a été relativement calme ces dernières années. Mais des combats antérieurs ont eu des conséquences lourdes pour les enfants du district, qui se sont retrouvés sans possibilité d’éducation lorsque leur école locale a été détruite par des bombardements en 2007.
Ehsanullah et sa famille ont été forcés de fuir vers le district voisin d’Arghandab, où le petit garçon a pu être scolarisé pour la première fois. « Ma première année a été fabuleuse », raconte-t-il. « Notre école se trouvait dans un bâtiment digne de ce nom. »
Mais en retournant à Zhari, Ehsanullah a été frappé par le contraste entre les deux établissements. Si elle a rouvert, son école qui accueillait autrefois quelque 1 300 élèves en compte désormais moins de 400… et certaines salles de classe restent condamnées.
« Notre école a été brûlée, détruite » : Kayenat, Afghanistan

Kayenat raconte qu’il y a deux ans, sa famille a fui d’intenses combats dans le district de Shinwar de la province de Nangarhar, dans l’est de l’Afghanistan. « Notre école a été brûlée, détruite », se souvient-elle. Quoiqu’il en soit, au moment de leur départ, Kayenat était déscolarisée. « Les filles n’étaient pas autorisées à aller à l’école. »
Elle est loin d’être un cas isolé dans un pays où, malgré des progrès dans l’amélioration de l’accès à l’éducation ces dix dernières années, les filles et les enfants handicapés demeurent particulièrement vulnérables. Près de 60 % des enfants non scolarisés en Afghanistan sont des filles. Celles qui défient les règles des groupes armés qui ne veulent pas les voir aller à l’école risquent d’être enlevées, voire tuées.
Confronté au choix impossible entre l’éducation de ses enfants et leur sécurité, le père de Kayenat a décidé d’emmener sa famille à Jalalabad, la capitale provinciale. Mais même alors que la situation semblait de plus en plus désespérée, Kayenat est restée déterminée à retourner un jour à l’école.
Depuis qu’elle se rend dans un espace d’apprentissage temporaire établi par l’UNICEF, elle a davantage confiance en son avenir. Elle dit qu’elle se débrouille bien en mathématiques et en pachto.
Le critère le plus important dans son choix de carrière ? Pour Kayenat, c’est de trouver un travail qui lui permettra de subvenir aux besoins de ses frères et sœurs.
« Je veux devenir institutrice » : Diana, Ukraine
À des milliers de kilomètres de là vit Diana, 14 ans, dans la région de Donetsk en Ukraine. Sa maison se trouve non loin de la fameuse « ligne de contact », qui divise les zones contrôlées par les forces gouvernementales de celles qui ne le sont pas, là où les combats sont les plus intenses. Elle doit traverser un checkpoint pour se rendre à l’école, ou même pour aller faire des courses. Les autres enfants de son village n’ont pas le droit de venir chez elle, car c’est considéré comme trop dangereux.
« Pendant la journée, il n’y a pas de tirs, du moins pas dans notre direction », explique Natalia, la mère de Diana.
« Le soir, on est tellement fatigués que l’on n’entend rien. »
Pas étonnant que Diana soit si fatiguée. Depuis le bombardement de son école à Horlivka, elle se réveille à 5 h 30 tous les matins pour rejoindre son nouvel établissement. Un trajet qui peut prendre jusqu’à deux heures dans chaque sens.
Pour les enfants qui, comme Diana, vivent dans la zone de conflit ou à proximité, le risque de se faire bombarder sur le chemin de l’école est quotidien. Mais cela n’empêche pas Diana de rêver au métier qu’elle veut exercer après avoir terminé ses études. « Je veux devenir enseignante de maternelle », confie-t-elle. « J’aime m’occuper des enfants. Je m’entends bien avec eux. »
« Je veux être mineur de charbon » : Yura, Ukraine

Comme Diana, Yura, qui vit à Novotoshkivske, a une idée précise de ce qu’il veut faire plus tard. « Je veux être mineur de charbon », déclare-t-il, expliquant que son père est sur le point de commencer à travailler dans une mine voisine. Yura dit qu’il aime bien les cours d’anglais et d’informatique. Il aime aussi jouer au parc et ramasser des marrons.
Mais tout comme Diana, Yura a vu – et entendu – l’effet dévastateur que le conflit a eu sur l’éducation dans l’est de l’Ukraine. Il y a un peu plus de quatre ans, son école a été touchée par quatre bombes et un obus de char. Le bâtiment a été entièrement détruit.
« Ce sont simplement les adultes qui jouent à leurs jeux »
« L’école n’était pas le seul bâtiment touché : la ville tout entière a été pilonnée », se souvient la grande sœur de Yura, Masha. « J’avais peur. Le bruit était si fort que je suis restée sourde pendant un petit moment », explique-t-elle, ajoutant qu’elle avait eu l’impression d’avoir les oreilles bouchées.
Masha explique que leur petit frère pleure quand il entend des bruits forts, et qu’elle lui apporte alors des bonbons et lui dit de ne pas s’inquiéter : « Ce sont simplement les adultes qui jouent à leurs jeux ».
« J’avais le sentiment que je ne pourrais jamais réaliser mes rêves » : Bintu, Nigéria
Bintu a vu de ses propres yeux l’impact dévastateur que les conflits ont sur l’éducation, et à l’inverse, l’espoir que l’école peut offrir.
Elle vit dans le village de Banki, dans le nord-est du Nigéria, au sud-est de la capitale de l’État de Borno, Maiduguri. Les combats ont dévasté les infrastructures de Banki. La périphérie de la ville est déserte, car il est trop dangereux d’y habiter.
Bintu se rappelle le jour où, il y a quatre ans, sa vie a basculé.
« Avant le début du conflit, j’allais à l’école, et puis les insurgés sont arrivés », raconte-t-elle. « J’étais allée en classe le matin, et je suis rentrée à la maison. Lorsqu’ils sont arrivés, tout le monde s’est mis à courir. »
« Ils ont brûlé l’école. J’étais dévastée, j’avais le sentiment que je ne pourrais jamais réaliser mes rêves. »
Bintu explique qu’elle a passé les deux années suivantes chez son oncle au Cameroun, mais qu’elle n’a pas pu aller à l’école pour autant. « La vie était très difficile… Mes amis me manquaient tellement », se souvient-elle.
Toutefois, il y a un an, Bintu a pu se remettre à rêver. Elle est revenue du Cameroun et fréquente à nouveau son école fraîchement reconstruite à Banki.
« Je suis tellement heureuse d’être de retour à l’école, car je vais pouvoir faire des études. Et j’apprends des choses nouvelles. »
« Si je ne reviens pas enseigner, qui le fera ? » : Hawa, Nigéria
Comme Bintu, Hawa vit dans le nord-est du Nigéria. Et comme Bintu, elle ne pourrait pas exprimer plus clairement le lien entre l’éducation et une confiance renforcée en l’avenir.
Hawa a fui sa ville natale de Gwoza, au pied des monts Mandara, lorsque celle-ci a été assaillie par des rebelles armés en 2014. Elle y est revenue lorsque la ville a été reprise par l’armée nigériane un an plus tard, mais dans ce court laps de temps, la violence avait chamboulé sa vie. Elle avait perdu son père, son école, et pendant un temps, ses espoirs d’avenir.
« Les rebelles ont tout détruit dans l’école. J’ai cru que mon avenir était gâché », raconte-t-elle.
Mais si l’on en revient à aujourd’hui, l’horizon commence à s’éclaircir. Certes, Hawa ne sait toujours pas ce que sont devenus certains de ses amis, et les conditions de vie des personnes qui sont revenues à Gwoza demeurent précaires, mais elles bénéficient tout de même d’un meilleur accès aux services, y compris éducatifs. L’école locale a été reconstruite, de nouvelles salles de classe vont être mises en service et le lieu résonne à nouveau des voix d’enfants.
Pour Hawa, c’est l’occasion de se rendre utile à son tour.
Désormais, elle aide sa sœur et ses quatre frères à faire leurs devoirs. « Si j’apprends, alors les plus jeunes en profiteront aussi. »
À terme, elle aimerait devenir enseignante, afin que d’autres enfants aient les mêmes chances qu’elle. « Si ce métier me passionne, c’est grâce aux professeurs que j’ai eus, dit-elle. Et si je ne reviens pas enseigner, qui le fera ? »
-- Avec la contribution de Toby Fricker et Murtaza Mohammadi