Ma plus belle récompense serait de voir ces enfants poursuivre leurs études jusqu’à l’université
Aissatou Dia, 32 ans est enseignante dans une école dans la ville de Tambacounda, au Sud-est du Sénégal. Elle tient une classe passerelle, une initiative qui fait renaître l’espoir parmi les enfants hors de l’école ainsi que leurs familles.
TAMBACOUNDA (Sénégal), le 12 avril 2022 – Abdou Saabali, 11 ans, se lève très tôt le matin pour rejoindre son école, dans la ville de Tambacounda, au sud-est du Sénégal. Il y a quelques années de cela, Abdou a dû abandonner sa classe, en cours préparatoire (CP), à la suite du décès de son père.
"Depuis que mon père est décédé, nous avons tous dû aider notre maman. J’ai quatre frères et sœurs, qui ont tous dû abandonner l’école. Ma mère est une aide-ménagère et l’argent qu’elle gagnait n’était pas suffisant pour nous tous. Mes grands frères ont été obligés de travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Ils vendaient des arachides dans les quartiers. Moi je restais à la maison pour garder ma petite sœur."
Aujourd’hui, trois ans plus tard, Abdou retrouve de nouveau les bancs de l’école. Il a intégré la classe passerelle de son quartier, l’école élémentaire de Plateau 2, au cœur de la ville de Tambacounda.
Les classes passerelles ont été déployées au Sénégal comme solution pour permettre aux enfants de 9 à 12 ans non scolarisés ou déscolarisés de rattraper leur retard scolaire grâce à des programmes d’apprentissage accéléré, afin de les orienter ou réorienter dans le système d’éducation formel ou dans la formation professionnelle.
Les enfants concernés participent à un programme d’apprentissage accéléré de neuf mois, au cours duquel ils apprennent la lecture, les mathématiques et d’autres sujets pertinents pour les amener au niveau académique souhaité.
Le programme d'apprentissage est aligné sur le programme formel, favorise l'enseignement de la lecture dans la langue maternelle ainsi que l'acquisition de compétences de vie. À la fin du programme, les enfants peuvent, en fonction de leurs résultats aux tests, entrer dans le système scolaire primaire public formel.
"Les premiers jours de réintégration à l’école sont toujours difficiles" témoigne Aissatou Dia, 32 ans, enseignante de la classe passerelle de Plateau 2. "Ma classe est une classe multigrade, c’est-à-dire, une classe qui intègre des élèves de niveaux différents" explique-t-elle. "Mais dès les premières semaines, les enfants s’adaptent très vite. A l’exemple d’Abdou, il a très vite appris à lire et à compter, en quelques semaines" nous raconte-t-elle avec fierté.
"Cela fait quatre ans que je suis dans l’enseignement, mais cette expérience de classe passerelle est assez passionnante. Je suis à l’école élémentaire de Plateau 2 depuis près d’un an, et je vois déjà les changements que j’apporte" nous confie-t-elle.
"L’éducation est une passion pour toute notre famille. Mes parents ont été enseignants, mes frères sont enseignants, je pense que c’était une vocation pour moi de devenir enseignante. L’une de mes plus belles récompenses serait de voir ces enfants réintégrés de nouveau l’éducation formelle, et qu’ils poursuivent leurs études jusqu’à l’université" poursuit-elle.
"De mon point de vue, la réintégration dans le système formel n’est pas seulement une question d’éducation, c’est vraiment une réintégration des enfants et de leurs familles dans la société" nous confie-t-elle.
"Les enfants se font de nouveaux amis, accordent de l’intérêt à leur propre éducation et sont parfois devenus des messagers auprès de leurs familles, de leurs voisins, de leurs communautés, là où ils vivent. Nous avons eu beaucoup de retours positifs de la part des parents depuis que leurs enfants ont de nouveau intégré l’école."
Dans la région de Tambacounda, l’initiative a été mis en œuvre depuis 2016, ayant permis de réinsérer plus de 3,500 dans le système formel d’éducation. En 2022, plus de 910 apprenants viennent d’être inscrites (contre une cible initiale de 900 enfants) et seront répartis dans 30 classes passerelles de la région.
"Nous avons eu de très bons résultats, et l’initiative a été très bien accueillie par les parents" explique Babacar Diack, Inspecteur d’Académie, premier responsable de l’éducation au niveau de la région de Tambacounda. "Nous allons accélérer cette initiative pour permettre à un maximum d’enfants hors de l’école de réintégrer l’éducation formelle. Nous faisons appel à tous les partenaires pour nous soutenir dans ce cadre" a-t-il lancé.
Soutenue par l’UNICEF avec l’appui récent du Gouvernement du Canada, la mise en œuvre de cette initiative a permis en 2021 d’atteindre 11,140 enfants hors de l’école dans l’ensemble du pays. Parmi eux, plus de neuf enfants sur dix ont été réinsérés dans les écoles primaires.
"La vie d’un enfant exclu de l’école est une tragédie faite de potentiel non réalisé et d’opportunités perdues. Ces classes passerelles font renaître l’espoir dans les familles, dans les communautés et offre une deuxième chance à des milliers d’enfants de réaliser leur plein potentiel" a pour sa part conclu Silvia Danailov, Représentante de l’UNICEF au Sénégal.