Seuls sur les routes migratoires

Ces dernières années, la question de la migration s'est considérablement accrue au Niger.

Par Islamane Abdou
#childrenuprooted
UNICEF Niger/Islamane
27 juin 2022

Ce jour de vendredi, le ciel est couvert et il fait moins chaud que d’habitude à Agadez, cette ville où le thermomètre peut enregistrer les 45° à l’ombre. Un cortège de camions remplis de personnes perturbe la tranquillité des populations installées tout le long de la principale voie goudronnée. La population est désormais habituée à ce ballet de camions venant de l’Algérie avec nos compatriotes refoulés. « Auparavant, quand on voit un camion d’Algérie, c’est qu’il a amené de la marchandise mais maintenant, ils ramènent aussi nos compatriotes. »

Seuls sur les routes migratoires
UNICEF Niger/Islamane

Direction pour cette dizaine de camions, la périphérie d’Agadez, au centre d’accueil des migrants. C’est la fin d’un long voyage de dix jours, pour ce millier de passagers. A l’arrêt des camions, les premiers à descendre, ce sont les bras valides. Quelques enfants et femmes prennent aussi le risque d’escalader les hautes barres des camions.

Les autres doivent attendre l’ouverture des portes par les chauffeurs pour descendre. Une fois ouvertes, les femmes et les enfants installés au fond des camions utilisent leurs dernières forces pour descendre à leur tour. Un par un, ceux qui sont descendus aident les autres à descendre eux aussi.

Ces dernières années, la question de la migration s'est considérablement accrue au Niger. Ils sont nombreux, les Nigériens et citoyens de l’Afrique subsaharienne qui tentent de traverser le désert à la recherche d’un lendemain meilleur. Hommes, femmes et enfants se retrouvent exposés à d’énormes risques sur ces routes migratoires, surtout lorsqu'ils se déplacent en dehors des voies sûres et légales. Parmi les migrants nigériens recensés sur ces routes, la majeure partie des personnes sont originaires des régions de Zinder, Tahoua et Maradi.

Seuls sur les routes migratoires
UNICEF Niger/Islamane

Les bagages sur la tête, pour les plus chanceux qui ont pu revenir avec quelque chose, ils se dirigent vers les interminables lignes, scindées par genre, pour recevoir de l’eau et du sandwich. Au milieu de ces lignes, plusieurs enfants. S’il y a ceux qui sont accrochés aux adultes, beaucoup d’entre eux errent et ont l’air perdus. Ibrahim, un travailleur social de la Direction régionale de la protection de l’enfant, se rapproche de ces enfants pour échanger avec eux avant de les orienter vers un espace où ils sont reçus par ses collègues. « Nous étions en alerte depuis hier, quand ils avaient quitté Assamaka, une localité située sur la frontière Nigero-Algérienne. Beaucoup de ces enfants sont des Enfants Non Aaccompagnés (ENA). Nous sommes là pour les accueillir » nous précise Ibrahim.

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UNICEF Niger/Islamane

Les enfants non-accompagnés ce sont ces enfants qui se retrouvent seuls, sur les routes migratoires, sans aucun parent ni tuteur, comme c’est le cas de Sahabi, à peine 5 ans interceptépar les forces de l’ordre algériennes pendant qu’il était en train de mendier sur les carrefours à Alger.  « Mes parents sont au village. J’étais avec d’autres chez une dame à qui on versait chaque jour ce qu’on gagnait en mendiant. Elle m’a dit qu’elle envoie cet argent à ma maman chaque mois. » nous confie le petit avant de rejoindre, pieds nus, ses autres compagnons de voyage regroupés par les travailleurs sociaux. A tour de rôle, ces ENA fournissent des informations sur leur identité, leur histoire de vie ainsi que leurs besoins. Ils seront ensuite emmenés au Centre de Transit et d’Orientation (CTO) pour les enfants en mobilité, un des quatre principaux dispositifs d’assistance et de protection transitoire gérés par l’Etat du Niger depuis 2019 grâce à l’appui de l’UNICEF et de ses partenaires

Seuls sur les routes migratoires
UNICEF Niger/Islamane

Au milieu de cette dizaine d’enfants, Lamara, finit son sachet d’eau avant de poser une question à Ibrahim, « vous allez nous ramener au village ? » . Le travailleur social répond par l’affirmatif avant de lui donner des explications. A 10 ans, Lamarya a déjà passé trois ans en Algérie « c’est mon papa qui nous a amenés en Algérie avec mes quatre autres frères et sœurs pour mendier. On gagne par jour 2000 dinars algérien (environ 13 euros) » confie-t-elle. J’étais en classe de CP à Mazania (un village situé dans la région de Zinder), ma maman et mes deux autres sœurs sont restées au village car étant trop petites. » conclut la jeune fille. 

Lamara,
UNICEF Niger/Islamane

A l’est du site de regroupement, nous retrouvons un groupe de femmes en train de discuter.  Parmi elles, Zahara, 20 ans allaite son bébé de 50 jours. « c’est notre voisine installée à Alger qui nous a dit se faire de l’argent dans la mendicité, elle nous a alors invitée à la rejoindre. J’avais pris la route alors que j’étais enceinte. Je n’avais pas le choix, la vie est trop rude ici. Mais là-bas, on était devenu trop nombreux, on ne gagnait rien, on était juste certain de trouver de quoi manger. » dit la jeune femme, originaire de Kantché, avant de conclure « après l’humiliation que j’ai vécue, je ne retournerai pour rien au monde ». Jusqu’à tard dans la nuit le gouvernement et ses partenaires procèderont à l’enregistrement de ces retournés.

Zahara, 20 ans
UNICEF Niger/Islamane

Ce jour-là, Ibrahim et ses collègues feront quant à eux, plusieurs allers-retours entre le centre d’accueil des migrants et le centre de transit et d’orientation des enfants. Ils enregistreront 71 enfants non-accompagnés, âgés de 2 à 17 ans, arrivés dans ce convoi. Premier objectif des travailleurs sociaux, installer les enfants dans des espaces sûrs, leur donner à manger, de quoi se laver, se reposer et aussi leur apporter une assistance médicale et psychologique.

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UNICEF Niger/Islamane

Le lendemain matin au CTO, les enfants ont déjà pris possession des lieux. Pendant que les uns lavent leurs habits ou se reposent, d’autres jouent à divers jeux. L’équipe de la Direction de Protection de l’Enfant, est à pied d’œuvre dans ce qu’ils appellent la gestion de cas. Chaque enfant est écouté individuellement par un travailleur social dans le but de connaitre son histoire et initier le retracement familial. « Nous mettons d’abord l’enfant en confiance et lui garantissons la confidentialité de son témoignage » nous dit Atti Tamari, l’une des six travailleurs sociaux à pied d’œuvre ce jour-là. L’enfant répond à une série de questions pour savoir s’il a été maltraité, si ses parents sont au village ou en Algérie, le nom de ses parents, de son village, s’il était scolarisé avant son départ du village… etc.   

En regardant dans les yeux de ces enfants, qui demandent qu’à vivre leur enfance, on voit un espoir qui renaît tout doucement, contrairement à la veille lorsqu’ils venaient d’être acheminés entassés à bord de ces camions. C’est le cas de Sahabi, qui se voit déjà inscrit à l’école « je vais demander qu’on m’inscrive à l’école pour devenir enseignant. » dit-il tout en continuant à jouer avec ses nouveaux amis.

 

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UNICEF Niger/Islamane

L’équipe de prise en charge au niveau de la DRPE a un délai de trois jours pour effectuer les retracements familiaux et raccompagner les enfants dans leurs villages d’origine., « nous avons la chance, dans les villages les gens se connaissent presque tous et ça aide énormément dans les retracements. Nous arrivons à faire ces retracements dans les délais, sauf dans des cas exceptionnels »  Atti.

Grâce à l’appui de l’UNICEF et des partenaires comme UKAID, l’Union Européenne, l’Italie et la RDDP, en 2021 plus de 5000 enfants ont pu rejoindre leurs familles.

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UNICEF Niger/Islamane
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UNICEF Niger/Islamane