A Diffa, le destin lié de deux inséparables
A 14 ans, Y. et F. ont pu sortir d’un groupe armé qui les avait enlevées, et reconstruisent leur vie à Diffa.
Elles sont amies depuis la petite enfance, répondent indifféremment l’une pour l’autre, ne font rien l’une sans l’autre. Yakoura et Fanta sont originaires du même village de B., zone frontalière du Tchad dans la région de Diffa. Avec leurs familles, elles ont quitté leur village pour rejoindre le site de déplacés d’Awadiri: « La peur nous a fait quitter », explique simplement F. Avant, elles étaient scolarisées, et déjà amies, dans la même classe de CE1.
Leur vie a basculé une nuit de décembre 2021. Ce soir-là, alors que tout le village est endormi, des hommes à pied surgissent, en pleine nuit. « Ils sont entrés dans chaque maison, et ont menacé nos parents de leurs fusils. » Ils enlèvent 11 adolescentes du village – plus tard, 5 autres, puis encore 3 autres seront prises. « On a beaucoup marché. Pendant trois jours et trois nuits. Quand on s’arrêtait de marcher, ils nous enchaînaient les pieds. »
Les filles arrivent dans un camp : « il y avait au moins 200 personnes, tout le monde était armé. Les gens parlaient kanuri, Surti, boudouma, haoussa… sur le campement, on a croisé une seule personne qu’on connaissait. On restait toutes ensemble. Il y avait aussi des hommes détenus avec nous. »
Les filles comprennent vite le sort qui leur est réservé : « ils ont dit qu’ils ne nous laisseraient pas, qu’ils allaient faire de nous leurs femmes. »
Après quelques jours de détention, alors que les filles prenaient leur bain dans la Kamadougou, elles entendent crier « les mécréants arrivent ! » C’est une intervention de l’armée : « ils ont bombardé le camp. Certaines filles qui savaient nager se sont enfuies comme cela. Nous avons suivi nos ravisseurs, en traversant la rivière. Nous avons encore marché des jours, dans la forêt. Alors ils nous ont dit qu’ils allaient nous rendre à nos parents contre une rançon. » Les échanges durent des jours : si les parents ont pu rassembler l’argent (2 millions de nairas, ramenés à 1,5 millions), le lieu pour procéder à l’échange ne cesse de changer. Les filles vont de faux espoir en faux espoir. Après « 8 ou 9 tentatives », un lieu est finalement trouvé : « les familles ont déposé l’argent, alors ils ont appelé l’autre groupe qui nous détenait pour nous amener, on a traversé la rivière pour retrouver nos parents. » Cinq filles sont ainsi libérées. « On a pleuré de joie ! », se souvient Y., dans un sourire timide.
Après avoir passé une nuit en brousse, endettées, les familles décident qu’elles ne peuvent plus rester. Elles fuient jusqu'au le site de déplacés de Awadiri, où sont établis, depuis 2019, 700 ménages.
Les filles sont identifiées par le Comité International pour l'Aide d'Urgence et le Développement (CIAUD), partenaire de l’UNICEF. « Le comité villageois de protection nous a signalé la présence de ces filles. Nous leur avons proposé de suivre la formation de leur choix, dans la limite de nos possibilités. Elles se sont dirigées vers la couture. », explique Abba Toukouri Kiari Gana, travailleur social au sein de l’ONG.
En parallèle, elles ont été mises en contact avec un psychologue. Ce dernier a ouvert un dossier de suivi, employant les différentes techniques utilisées dans le cadre de la psychothérapie, notamment le counseling individuel, les groupes de parole afin que les filles puissent échanger avec d’autres filles ayant vécu la même expérience et renforcer leur résilience, la participation aux activités socio récréatives dans les Espaces de jeu communautaire et ont été référencées vers le centre de santé pour recevoir des soins complémentaires.
Cet appui entre dans le cadre du projet projet Résilience financé par la BMZ, à Diffa, Mainé-Soroa, Gueskerou et Chetimari : 1200 enfants vulnérables ont ainsi pu bénéficier d’une formation professionnelle et d’un encadrement personnalisé avec l’ONG CIAUD, et 450 avec la Direction Régionale de la Protection de l’Enfant.