Vivre avec le poids du tabou

A Tombouctou, comme Fanta, 98 survivantes de violences sexuelles ont bénéficié en 2021 d’une prise en charge médicale, psychologique et économique grâce à l’appui de l’UNICEF et de ses partenaires.

Julie Crenn
Fanta (name has been change) and her son in their home of Timbuktu
UNICEF Mali/2021/Crenn
22 février 2022

« Je veux être libre et m’en sortir moi-même, être indépendante » affirme Fanta* avec force, son bébé de 18 mois endormi sur ses genoux dans cette maison de Tombouctou. Une assurance qui fait plaisir à voir ; il y a quelques mois encore la fille de 16 ans n’osait pas sortir dans le voisinage. « Elle va mieux, elle est très courageuse ! » confirme Lalia Lahabib, assistante psychologue pour l’ONG GARDEL qui suit Fanta depuis sa prise en charge par l’ONG. Deux ans auparavant un groupe d’hommes a agressé sexuellement l’adolescente alors qu’elle rentrait chez elle. « Ici les gens préfèrent se taire », explique Mohamed Moussa assistant juridique de l’ONG GARDEL. « Ils ne déclarent pas les agressions sauf s’il y a une grossesse. Les gens ont trop peur de la stigmatisation. Le viol est perçu comme une tâche sur toute la famille, pas seulement sur la jeune fille. »

Fanta (name has been change) and her son in their home of Timbuktu
UNICEF Mali/2021/Crenn

« Je n’en ai parlé à personne quand c’est arrivé, je ne savais pas que j’étais enceinte. »

Fanta

« J’avais honte, je pleurais et je me suis cachée » témoigne Fanta. Alors que la jeune fille est de plus en plus malade, sa grande sœur l’amène consulter un médecin qui constate qu’elle est à son cinquième mois de grossesse. « Les jeunes filles qui arrivent ici présentent des problèmes émotionnels, elles sont touchées psychologiquement » appuie Elhadj Ossed, directeur technique du centre de santé communautaire de Belafarandi. « Beaucoup rejettent leur grossesse, craignant le jugement de leur famille et de la communauté. Alors nos sages-femmes formées à leur accueil les écoutent, les informent et les soutiennent. »

« Lorsqu’elle me l’a dit, j’ai eu tellement mal et tellement honte, j’étais bouleversée » témoigne doucement Assitan*, la maman de Fanta. « Ma fille était si jeune, j’étais choquée. Je n’osais plus sortir de chez nous. J’ai eu honte donc j’ai cherché à cacher ce qui était arrivé. Mais en entendant une sensibilisation à une tontine**, j’ai compris qu’elle pouvait recevoir de l’aide », se souvient la mère de famille. Le père de Fanta étant décédé en 2012, Assitan vend des beignets devant la maison chaque matin. « En ce moment nous sommes 11 personnes à la maison dont 8 enfants. On se débrouille. »

Fanta (name has been change) and her son in their home of Timbuktu
UNICEF Mali/2021/Crenn

Par crainte de stigmatisation et de représailles, aucune plainte n’a été déposé jusqu’à présent, Fanta se concentrant sur l’avenir et sur le commerce qu’elle a monté grâce aux 60 000 francs CFA (environ 100 USD) d’aide qu’elle a reçu. « Aujourd’hui, grâce à cette aide, j’achète des condiments au grand marché puis je les revends ici à la maison », explique la jeune fille qui n’a jamais été à l’école mais a appris à compter avec sa maman. « Je gagne environ 2000 francs CFA de bénéfices par semaine et je garde cet argent pour moi et pour mon fils. Grâce à ces économies, j’ai déjà acheté une chèvre qui a donné naissance à deux petits » conclue-t-elle.

« Elle a le sens du commerce ! » confirme fièrement Lalia Lahabib dans un grand rire. La complicité entre la psychologue et la jeune fille saute aux yeux. « Pour l’appui psychologique, je mets à l’aise les personnes et je tisse des relations amicales, c’est important » explique la tombouctienne d’origine. « Tout d’abord je l’observe puis je l’écoute, je fais des entretiens hebdomadaires ou quotidiens, selon ses besoins et ses disponibilités. Je la fais rire, je lui raconte des histoires, je parle aussi d’autres filles que je connais à qui la même chose est arrivée et on fait de petites sorties parce qu’elle n’osait plus sortir de chez elle, elle avait honte. »

Fanta (name has been change) and her shop in Timbuktu
UNICEF Mali/2021/Crenn
Fanta (name has been change) and her kettle in Timbuktu
UNICEF Mali/2021/Crenn

Aujourd’hui Fanta aspire à agrandir son commerce pour offrir un avenir meilleur à son fils Aliou*. « Il va bien, il marche, il joue. Je veux le meilleur pour Aliou et qu’il ait une éducation. » Clin d’œil à l’aide reçue, le prénom de son fils a d’ailleurs été influencé par la psychologue de l’ONG. « J’ai été très soutenue par Lalia tout au long de la grossesse et elle me disait toujours « tu portes notre petit Aliou », elle était très gentille, elle m’aidait et on riait beaucoup alors j’ai appelé mon fils Aliou ! »

Ce programme de soutien aux survivantes de violences sexuelles a bénéficié de financement du Canada, de la Suisse et du Danemark.

 

*Les prénoms ont été changés pour raison de protection

** Une tontine est un groupe d’entraide économique souvent féminin