L’histoire, les mathématiques et les méchants
Un arrêt temporaire de l'apprentissage peut conduire à une interruption permanente. Au Mali, de simples solutions élaborées localement peuvent permettre d'assurer une continuité dans l'apprentissage
- Disponible en:
- Français
- English
Aussi bien Fatoumata* que ses parents croyaient qu'il y aurait une solution, même après qu'elle ait dû quitter son village. Ce n'est que lorsqu'elle a été emmenée de son village situé au centre du Mali au domicile de son oncle à Bamako, la capitale du pays, dans le sud, qu'elle a commencé à se rendre compte que son école était véritablement fermée. Pourtant, ni elle ni ses parents n'avaient jamais perdu espoir. Elle est à présent de retour dans son village, scolarisée dans un centre d'apprentissage communautaire.
En 2017, alors que Fatoumata était à l'école, « les méchants » sont arrivés dans son village dans la région de Ségou au Mali et ont exigé le départ des deux enseignants. Ils étaient venus et s'en étaient allés. Puis les ainés ont demandé aux élèves de rentrer chez eux.
Ce jour-là, Fatoumata ne s'en était pas soucié. Elle pensait que c'était seulement pour un jour ou deux. Mais l'école reste encore fermée près de deux ans plus tard.
« Les méchants sont arrivés .... Ils ont dit aux aînés qu'ils ne voulaient pas voir ces enseignants à l'école. »
Avant la fermeture, elle aimait l'école, en particulier la récitation, qui est utilisée au Mali pour l'enseignement des fondamentaux tels que les nombres et le vocabulaire. Son école était remplie de filles et de garçons. Elle ne se souvient d’aucun d’eux qui n’aimaient pas l’école.
Mais ce n'est pas parce que la vie à l'école était facile. En plus des hauts et des bas propres à la vie à l'école, elle avait, comme la plupart des filles du village qui allaient à l'école, un travail à accomplir avant et après. Ses tâches consistaient à parcourir une bonne distance pour aller puiser de l'eau et balayer l'intérieur de leur maison avant le début des cours. À l'école, le travail se poursuivait et c'est aux filles seules qu'était confiée la responsabilité de nettoyer l'école chaque jour avant les cours. Elle sourit à l'idée que l'on puisse demander aux garçons d'y aider.
« Je fais des exercices de calculs pour être instruite »
Malgré toute cette charge, elle parvient à trouver le temps de réviser ses leçons de mathématiques dans la soirée. Sa logique était simple : c'était sa pire matière, et réviser était le seul moyen de s'y améliorer.
Après la fermeture de l'école et son déménagement à Bamako, vivre en ville était une nouveauté pour elle. Mais une fois cette nouveauté fanée, elle a décidé de retourner au village. En l'espace d'une année, elle s'était habituée au fait de ne pas aller à l'école. Comme tant de filles dont l'éducation est interrompue, elle risque de dériver à jamais vers la déperdition scolaire.
« Les centres d'apprentissage communautaires n’assurent pas seulement une continuité de l'apprentissage aux enfants touchés par la crise, ils apportent aussi un sentiment de normalité cruellement nécessaire »
Sans qu’elle le sache, l'UNICEF, mettait en place des mécanismes temporaires afin d'assurer la continuité de l'éducation des enfants au Mali. Grâce à un financement de la Norvège et avec l'aide de l'ONG OMAES, un centre d'apprentissage communautaire a été mis en place au cœur même de son village : un environnement où les enfants peuvent se sentir en sécurité et réintégrer ou acquérir pour la première fois, l'habitude de l'apprentissage.
Les centres d'apprentissage communautaires sont des structures sommaires, offrant un petit espace protégé où les enfants peuvent apprendre les fondamentaux en mathématiques et en lecture. Les élèves, sont encouragés à écrire leurs propres histoires, en mettant dans leurs cahiers de notes personnels l'histoire de leur propre communauté et cela dans leurs propres dialectes. Ils sont surtout encouragés à jouer, ce qui est vital pour les enfants vivant dans des zones d'insécurité.
Dans la région de Ségou, l'on compte désormais 19 centres d'apprentissage communautaires, fréquentés par plus de 1 200 enfants, dont 587 filles.
« L'avenir des enfants se trouve dans les écoles »
« Les centres d'apprentissage communautaires ne se contentent pas d'assurer la continuité de l’apprentissage aux enfants touchés par la crise, ils apportent aussi un sentiment de normalité cruellement nécessaire », explique Sharmila Pillai, spécialiste de l’éducation en urgences à UNICEF Mali. « Bien que notre mission au Mali s'avère difficile, nous savons qu'il est plus difficile d'empêcher les enfants d'apprendre que de les aider. »
Au Mali, 849 écoles étaient fermées en janvier 2019 ; et plus de 254 000 enfants, à l'instar de Fatoumata, étaient privés d'école dans les zones touchées par le conflit. Les conflits peuvent empêcher les enfants d'avoir accès à l'éducation et compromettre non seulement leur propre avenir mais celui de leur société toute entière.
L'insécurité dans le centre du Mali a beau continuer, mais comme ses parents l'avaient espéré, Fatoumata est de retour à la place du centre du village, continuant son éducation. Un bénévole local, appelé « animateur », a été formé aux techniques de l'enseignement et l'apprentissage dans le centre se fait en langue locale. Il n'y a ni tables-bancs ni chaises : juste un simple tableau noir et de quoi se tenir à l'abri du soleil. Mais, les enfants peuvent apprendre. Depuis l'ouverture du centre, Fatoumata n'a pas manqué un seul jour de classe.
« J'ai toujours cru qu'il y aurait une solution »
Toutefois, le centre ne sera toujours qu'une solution provisoire en attendant l'éducation formelle. L'animateur attend avec impatience la pleine réouverture de l’école. « L'avenir des enfants se trouve dans les écoles », affirme Mohamed*, animateur au centre que fréquente Fatoumata.
Fatoumata n'est pas le genre de fille qui sourirait facilement, mais elle le fait chaque fois qu'elle se souvient de son premier jour à son ancienne école. Elle en a encore des souvenirs, et sait toujours réciter le poème qu'elle y avait appris. Le nouveau Centre d'apprentissage communautaire dans son village n'est pas le même ; néanmoins il lui permet de rester dans la continuité de l'apprentissage. « J'ai toujours cru qu'il y avait une solution », dit-elle.
D'autant plus qu'elle se souvient avoir désiré ouvrir un comptoir de vente de crédit téléphonique et terminer ses études secondaires.
Pour ce faire, elle a déjà pu parvenir à ce qu'elle décrit comme étant une étape importante : elle est désormais mieux en mathématiques que ses parents.