"Ma mère me manque mais je sais qu'elle reviendra pour moi"

Depuis le 8 juillet 2022, la vague de violence liée aux gangs dans la commune de Cité Soleil a fait de nombreux morts, blessés et déplacés.

Gessika Thomas
Deux fillettes en train de prendre de l'eau.
UNICEF
25 juillet 2022

Port-au-Prince, 25 juillet 2022 - La scène est malheureusement trop familière. Une autre vague de violence des gangs dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince précipite des milliers de familles dans les rues pour tenter de sauver leur vie, parfois avec que leurs vêtements sur le dos afin d’essayer d'échapper aux feux croisés. Elles se rassemblent ensuite dans des abris informels à travers la ville. 

Pourtant, cette fois, il semble y avoir une nuance. 

Au campus Saint-Louis de Gonzague, les enfants sont de retour en classe en plein cœur de l'été. Pas pour aller à l'école, mais pour sauver leur vie. 

Beaucoup d'entre eux se sont déplacés sans parents ou tuteurs. Beaucoup d'entre eux sont trop jeunes pour être là. Par eux-mêmes. Ce qui donne lieu à une scène surréaliste. 

Trois fillettes en train de sourire dans un site des déplacés.
UNICEF
Roodmaelle Pierre en train de sourire. Elle est assise dans une salle de classe au milieu de deux autres fillettes.

"Ma mère me manque mais je sais qu'elle reviendra pour moi" 

Roodmaelle Pierre, 13 ans, l'une des centaines d'enfants qui errent dans la cour de récréation. 

La violence faite à la population de Cité Soleil et surtout aux enfants est à peine descriptible. 

Une nouvelle vague de violence a éclaté Cité Soleil, dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, Haïti.  Selon les Nations unies, entre le 8 et le 17 juillet 2022, plus de 471 personnes ont été tuées, blessées ou portées disparues. De graves incidents de violence sexuelle à l'encontre des femmes et des filles, ainsi que des garçons recrutés par des gangs, ont également été signalés. Environ 3 000 personnes ont également fui leur domicile, dont des centaines d'enfants non accompagnés, tandis qu'au moins 140 maisons ont été détruites ou incendiées. 

« Quand ils ont commencé à incendier les maisons, je me suis précipitée pour mettre mes deux enfants en lieu sûr, le bébé de 10 mois et celui de cinq ans. Je suis allé les cacher chez un voisin mais j'ai laissé celle de deux ans car je ne pouvais pas les porter les trois. À mon retour, la maison avait complètement brûlé avec ma fille de deux ans à l'intérieur. Je ne retournerai vivre à Cité [Soleil] pour rien au monde. »

Chilove Mercy, 24 ans, mère célibataire de 4 enfants

Pour échapper à ce qui ressemblait à un enfer, la plupart des enfants devaient revêtir leur uniforme scolaire pour tromper la vigilance de leurs ravisseurs. Mais cela avait un prix : laisser derrière celles et ceux qui leurs sont chers. Ainsi que toute information sur leur sort ou les moyens de se retrouver. 

La grande majorité des personnes déplacées rencontrées sont des enfants non accompagnés, principalement de la région de Brooklyn. Une zone tampon coincée entre les territoires des gangs rivaux qui semble, selon les témoignages, avoir payé le tribut le plus lourd. Les quelques rares femmes et mères présentes dans ces centres sont des enseignantes ou monitrices fuyant également la guerre des gangs à Cité Soleil. Plusieurs affirment avoir perdu leurs maris ainsi que leurs enfants, tués avant ou au cours du dernier affrontement.

2 personnes reçoivent des kits d'urgence.
UNICEF
Les déplacés reçoivent des kits d'urgence dans un site.

Pour répondre aux besoins urgents des femmes et des enfants affectés par la violence, l’UNICEF a fourni 312 000 litres d'eau potable, pouvant répondre au besoin de 20 000 personnes pendant deux jours, ainsi que 300 kits d'hygiène pour 1 500 personnes. Il a également aidé 780 enfants avec des activités psychosociales, et 110 d'entre eux ont reçu des soins médicaux à travers les cliniques mobiles.

La plupart de ces enfants n'ont que les vêtements sur le dos et fuient parfois pieds nus. Ils vivent tous dans l'incertitude. Nous sommes confrontés à la possibilité de regroupements familiaux difficiles, voire impossibles. Certains parents étant bloqués à Cité Soleil sans issue car le conflit persiste malgré un certain répit ces derniers jours. 

Faute de moyens et vivant dans une précarité économique aggravée, certains parents risquent d'abandonner purement et simplement leurs enfants à leur sort. Beaucoup de ces enfants ont besoin d'une assistance médicale soutenue. L'accès à l'eau potable était déjà difficile à Cité Soleil. L'eau des puits artésiens a tendance à être impropre à la consommation là-bas. Par conséquent, certains enfants ont des épisodes de diarrhée, de fièvre et des pathologies cutanées telles que la gale.

Un groupe de personnes se réunit avec des staff de l'UNICEF.
UNICEF
Des personnels de l'UNICEF rencontrent les victimes dans un site à Delmas.

Selon les témoignages de mères sur le site, beaucoup de ces enfants sont traumatisés, ils dorment mal la nuit et crient souvent. En outre, la réouverture des classes dans quelques semaines semble déjà compromise. Ces enfants, pour la plupart, sont à risque de décrochage scolaire. 

Il y a aussi le fait que certains de ces centres ne peuvent fournir qu'une assistance immédiate et provisoire. Ils ne sont ni équipés ni n’ont les ressources pour un accompagnement de qualité au-delà des premières semaines. 

Compte tenu de la précarité ambiante et coutumière de Cité Soleil, ces déplacés se retrouvent somme toute dans une situation assez paradoxale : Les conséquences du conflit sont que sans doute pour la première fois, ils ont accès à un endroit pour dormir, un plat chaud et de l’eau potable, ne serait-ce que pour un certain temps, au strict minimum. Cela crée une nouvelle dynamique d'incertitude et d'anxiété.