« Le choléra est de retour »
Les quartiers défavorisés, ravagés par la guerre des gangs, la pauvreté et la malnutrition sont les plus touchés

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Quand l’un des jumeaux de Roseline Céus a commencé à faire une diarrhée liquide et à vomir, la mère de 18 ans l’a pris avec sa sœur jumelle, a pris son courage à deux mains et s'est engagée sur le chemin du centre traitement de cholera de Gheskio à Bicentenaire. Alors, l’une de ses amies l’a rejointe et ensemble, elles ont marché, le pas assuré mais la peur au ventre.
« Quand je suis arrivée ici, j’étais perdue. J’étais au rez-de-chaussée et les infirmières m’ont dit de monter. Je tournais en rond avec l’enfant. Mais quand j’ai vu qu’il était sur le point de mourir, j’ai demandé de l’aide à un docteur. Il a mis l’enfant au sérum », raconte-t-elle.

La jeune mère savait que le choléra sévissait à nouveau en Haiti, et elle craignait pour la vie de son enfant. Elle avait pris la jumelle avec elle car personne n’est à la maison pour la garder. Sur le chemin, elle craignait d'être attaquée par des hommes armés ou être prise entre deux feux, avec ses deux enfants âgés seulement d’un an.
« Là où j’habite, ce n’est pas bon. Il y a souvent des tirs et on ne peut pas sortir. On a du mal à trouver de l’eau pour nos besoins et il n’y a rien comme ressources », souligne-t-elle.
Le 2 octobre 2022, de nouveaux cas de choléra ont été confirmés en Haïti, après trois ans sans qu’un seul cas ne soit rapporté. Au 25 octobre, 2 274 cas suspects et plus de 52 décès ont été rapportés par le ministère de la Santé publique et la population (MSPP). La résurgence du choléra survient dans un contexte d'insécurité caractérisé par la guerre des groupes armés et les troubles sociaux liés à la hausse du prix du carburant. Les patients ont du mal à se rendre aux centres de santé et le personnel médical, à aller travailler en toute sécurité.

« Là, il y’a beaucoup d’enfants mais ce sont ceux qui ont pu arriver. Avec le manque d’accès aux services faute de carburant, faute d’insécurité, vous ne pouvez pas vous imaginer combien de gens sont en train de mourir à l’intérieur de n’importe où », s'indigne Dr Marie Marcelle Deschamps, Directrice adjointe de Gheskio.
Le centre de traitement de choléra de Gheskio sis à Bicentenaire à Port-au-Prince, est au cœur des quartiers défavorisés, ravagés par la guerre des gangs, la pauvreté et la malnutrition. La situation nutritionnelle déjà fragile est encore aggravée par l'inflation, la flambée des prix des denrées alimentaires, la pauvreté généralisée et le faible pouvoir d'achat ainsi que l'actuelle épidémie de choléra, mettant en danger la vie de milliers d'enfants malnutris.
À Cité Soleil où les premiers cas de choléra ont été rapportés, un enfant sur cinq est atteint de malnutrition aiguë sévère ou modérée. Et les enfants souffrant de malnutrition courent trois fois plus de risques de mourir du choléra. Depuis le début de cette nouvelle vague de choléra, une personne sur trois souffrant des symptômes de la maladie est âgée de moins de cinq ans.
« Lorsque vous n’êtes pas en mesure d’obtenir de l’eau potable au robinet chez vous, lorsque vous n’avez pas de savon ou des comprimés purificateurs d’eau et que vous n’avez pas accès aux services de santé, vous risquez de ne pas survivre au choléra ou à d’autres maladies d’origine hydrique. L’impact dévastateur des restrictions sur le carburant et de la violence a fait des enfants les principales victimes de l’épidémie », a déclaré Bruno Maes, Représentant de l’UNICEF en Haïti.
Le choléra se propage vite et il est déjà sorti des limites de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Des cas suspects sont rapportés au Centre, dans l’Artibonite et dans les Nippes. La commune de Cité Soleil détient le record du nombre de personnes présentant les symptômes de la maladie, mais celle-ci avance à grands pas dans tous les quartiers pauvres où l’accès à l’eau propre et au savon reste limité. Insécurité et manque de carburant aidant, les immondices jonchent les rues de plusieurs quartiers de la capitale haïtienne, augmentant les risques de propagation du choléra.

« Le choléra est de retour. On est passé de 10 cas les premiers jours à près d’une cinquantaine de cas par jour. Nous avons le site de Bicentenaire et celui de Tabarre pour accueillir les patients. Et nous travaillons en étroite collaboration avec les agences des Nations unies comme l’UNICEF », explique Dr Deschamps.
L’UNICEF appuie le MSPP et d’autres partenaires comme Gheskio, Médecins du Monde (MDM) Argentine, Médecins Sans Frontières, ou la direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA) en carburant, chlore, kits d’hygiène, comprimés de purification d’eau, savon, et en intrants médicaux, sels de réhydratation orale, équipements de protection individuelle (EPI), etc. Avec le MSPP et la DINEPA, l’UNICEF déploie des cliniques mobiles et achemine de l’eau potable par camion-citerne à Cité Soleil, pour servir les femmes et les enfants les plus vulnérables.
L'UNICEF appuie en carburant et en intrants médicaux neuf centres de traitement de choléra sur les 16 ouverts jusqu'ici dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, pour la prise en charge des enfants et des femmes.
De nombreux enfants risquent de perdre la vie au choléra si des mesures concrètes ne sont prises pour stopper la propagation. L'UNICEF estime qu'il aura besoin de 22 millions de dollars pour une réponse spécifique au choléra. A ce jour, cette demande reste non financée.