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pour chaque enfant | l’attention numérique

De nombreux parents et enseignants s’inquiètent du temps que les enfants passent sur Internet. Il est cependant difficile de déterminer si l’hyperconnectivité est bonne ou mauvaise pour eux. Les études tendent de plus en plus à montrer que les effets de la technologie sur le bien-être dépendent davantage de la qualité de l’activité que de la quantité de temps passé devant un écran.

 
C’est le départ de l’enfant dans la vie qui lui permettra d’avoir ou non une expérience positive du numérique. Par exemple, les enfants souffrant de solitude, de stress, de dépression ou de problèmes familiaux risquent de voir Internet aggraver leurs difficultés, plutôt que de leur fournir une échappatoire. À l’inverse, ceux qui possèdent des liens sociaux et familiaux solides sont susceptibles d’utiliser Internet pour renforcer ces liens, ce qui contribuera à améliorer leur bien-être.
Et si le seul moyen qu’a un enfant d’avoir des liens avec sa famille passe par Internet ?
En République de Moldova, pays où la pauvreté conduit à l’éloignement physique, les avancées technologiques ont aidé une adolescente à construire un lien plus fort avec sa mère, qui vit et travaille à l’étranger.

 

Une fille se tient debout face au coucher du soleil
Par une froide soirée d’octobre, dans un village aux portes de Chisinau, la capitale moldave, Gabriela Vlad, dite « Gabi », se tient affalée sur une chaise, dans un coin de la salle à manger de ses voisins. Elle fronce les sourcils en regardant son téléphone. Après une longue journée, elle avait hâte de voir le visage de sa mère, mais cela semble désormais peu probable.
À table, son père, son frère et ses voisins discutent joyeusement autour d’un ragoût de porc accompagné de polenta et de vin artisanal. Ces rassemblements sont devenus une tradition pour les deux familles, qui se sont rapprochées au cours des dernières années. La mère de Gabi, Svetlana, se joint souvent à ces dîners sur Skype ou Viber, mais aujourd’hui, la connexion est mauvaise.
C’est un problème courant entre 20 heures et 21 heures en République de Moldova, lorsque les familles comme la leur essaient de contacter leurs proches à l’étranger.
Gabi tente de manipuler son téléphone tandis que le visage pixellisé de sa mère clignote à l’écran, avant d’être remplacé par l’obscurité. Elles finissent par abandonner la conversation vidéo pour se parler au téléphone. Ensemble, elles rejoignent la table et le père, le frère et les voisins de Gabi en profitent pour demander de ses nouvelles à Svetlana et l’inclure dans leur conversation. C’est presque comme si elle était là.
Pour Gabi et Svetlana, ce n’est que l’une des conversations qu’elles partageront durant la journée, généralement grâce aux applications de conversation telles que Viber. Leur relation parent-enfant se fait à distance : Svetlana travaille actuellement en Allemagne, et ce, depuis environ quatre ans.
Alors que dans de nombreux endroits du monde, cette relation semblerait étrange, en République de Moldova, c’est une nouvelle normalité.

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Le pays qui se dépeuple le plus vite au monde

 
Selon les estimations, 21 % des enfants moldaves de moins de 18 ans (environ 150 000 individus) ont au moins un parent biologique à l’étranger, et pour 5 % (environ 35 000 individus), il s’agit des deux parents.
Dans l’immense majorité des cas, la raison de cette émigration est économique. La République de Moldova est l’un des pays les plus pauvres d’Europe et, pour de nombreuses familles, les envois de fonds de leurs proches vivant à l’étranger constituent la plus grande partie des revenus. Selon les données officielles, plus de 330 000 Moldaves travaillent ou cherchent du travail à l’étranger aujourd’hui, mais le nombre officieux de ceux qui sont partis pourrait s’élever à un million.
L’exode en masse des adultes et les taux de natalité en baisse ont fait de la République de Moldova le pays qui se dépeuple le plus vite au monde.

 

S'adapter à une nouvelle dynamique familiale

 
Gabi avait 6 ans lorsque sa mère est partie pour la première fois travailler en Italie. Elle venait tout juste d'entrer en primaire cette année-là, et son frère cadet Mihai avait 3 ans.
« Je me souviens que la veille du départ de ma mère, tandis qu'il mettait la table pour que l'on mange tous ensemble un gâteau traditionnel fourré au fromage, mon père m'a dit : “Profite bien de ce repas parce que ta maman va bientôt partir, et tu n'en remangeras pas de si bon de si tôt !” », confie Gabi en riant.
Gabi se souvient vaguement avoir parlé au téléphone avec sa mère lorsque celle-ci était à l'étranger.
« En termes de technologie, c'était difficile à l'époque. On n'avait pas d'ordinateur. On ne pouvait qu'acheter une carte SIM à 20 euros et ça s'arrêtait là pour le mois », explique-t-elle. Sa famille et elle ne pouvaient parler à Svetlana que le week-end, et ce, pas plus de 10 minutes au total le samedi.
Un an et demi plus tard, Svetlana revenait pour la première fois à la maison.
« Son retour a été un moment merveilleux pour moi. Je me souviens avoir ressenti une joie immense », confie Gabi. « La situation était un peu plus trouble pour mon frère parce qu'il était très jeune. Il lui demandait quand elle allait repartir chez elle. »

 

Une adolescente discute avec son père, chez eux, en République de Moldova.

Gabriela (Gabi) Vlad, 17 ans, et son père, Ion Vlad, envoient échangent des messages avec Svetlana, la mère de l’adolescente, à la veille de la reprise des cours et du travail, dans le village de Porumbeni, en République de Moldova.

Svetlana a alors décidé de rester en République de Moldova pendant cinq ans pour s'occuper de ses enfants au cours de cette période cruciale de leur développement. Lorsqu'elle est repartie travailler à l'étranger, en Allemagne cette fois, le Gouvernement moldave avait achevé la réalisation d'un projet visant à permettre à tout le pays d'avoir accès à Internet, une initiative qui devait s'avérer très bénéfique pour des familles comme celle de Gabi.
« [À l'époque,] on avait un vieil ordinateur de bureau que l'on connectait à Internet pour utiliser Skype. La première fois, on a parlé pendant une heure parce que c'était nouveau pour nous et gratuit », explique Gabi.
Lorsque, le progrès technologique aidant, Gabi a pu avoir un téléphone portable en 2010, les communications avec sa mère se sont faites plus régulières. « Je n'avais pas l'impression que ma mère était à l'étranger car on pouvait communiquer autant qu'on le voulait. On parlait surtout de nos amis, des relations avec les enseignants et les élèves. »
Avec l'aide de voisins, son père s'est acquitté de nombre des tâches dévolues aux parents, mais Svetlana était présente aussi. Elle a aidé Gabi à faire ses devoirs, s'est assuré qu'elle s'habillait convenablement en fonction du temps et qu'elle mangeait bien.
Une adolescente regarde son téléphone portable, République de Moldova

Gabi, ici devant son lycée, utilise son téléphone portable, Chisinau, République de Moldova

Un système de soutien numérique

 
Gabi affirme que c'est lorsqu'elle a quelque chose de positif à partager, comme une bonne note ou un spectacle de danse réussi, qu'elle apprécie le plus de pouvoir communiquer en direct avec sa mère. Même si elle compte aussi sur elle dans les moments difficiles.
« Ma mère m'a énormément aidée lorsque j'étais en huitième et neuvième années », se souvient Gabi. La concurrence entre élèves était vive parce qu'il fallait figurer parmi les meilleurs de la classe pour avoir une chance d'aller à l'université plus tard ou même de décrocher une bourse.
Ployant sous la pression, Gabi rentrait parfois de l'école en pleurs, puis appelait sa mère qui la rassurait. « Ma mère me conseillait de pas retenir mes émotions, mais de ne pas me laisser stresser non plus par ce genre de choses qui n'ont pas d'importance », raconte-t-elle. « Elle me disait que ce qui compte c'est ma santé et mon bien-être – que je sois heureuse. »

« Elle me disait que ce qui compte c'est ma santé et mon bien-être – que je sois heureuse. »

Svetlana a été là aussi pour Gabi à cette période critique qu'est le passage à l'adolescence.
« C'est ma mère, et ma mère seulement, qui a fait mon éducation sexuelle, qui m'a appris ce qu'il convient de savoir, m'a parlé des conséquences, des risques et des moyens de protection », précise Gabi. « Je n'ai pas cherché sur Internet. Ma mère a veillé à ce que je sache ce que je devais savoir. »
En raison de la distance peut-être, Svetlana communiquait volontiers à ce sujet, même par téléphone, ce qui a permis à Gabi de se sentir moins gênée.
« Lorsque j'ai eu mes règles pour la première fois et que j’ai souffert des spasmes horribles qui les accompagnent, je ne me suis pas sentie suffisamment à l'aise pour en parler avec mon père. J'ai envoyé un texto à ma mère et elle m’a aidée à comprendre que c'était normal, elle m'a même conseillé un type de thé précis pour soulager mes douleurs », poursuit-elle.

Des rêves pour l'avenir

 
La présence virtuelle de Svetlana et son aide ont eu un impact profond sur Gabi, qui excelle en classe. Elle est actuellement présidente d'une association étudiante et première de sa classe. On lui a récemment proposé un travail prestigieux après les cours au bureau du proviseur de son école.
Gabi est convaincue que si l'organisation familiale a été aussi fructueuse, c'est grâce à la détermination et à l'attitude positive de ses parents. Dès le début, ils ont expliqué à leurs enfants que si leur mère partait à l'étranger, c'était pour leur offrir une vie meilleure.
Il y a vingt ans de cela, la distance physique entre Svetlana et sa famille aurait fort bien pu s'avérer un obstacle insurmontable.
Sans les avancées de la technologie numérique qui permettent de rester constamment en contact, Gabi affirme que sa relation avec sa mère aurait été tout autre. « Cela aurait été un peu comme si j'avais dû jouer un rôle », explique-t-elle. « Reconnaître en tant que mère quelqu'un dont je ne me sens ni proche ni familière. »
Plus tard, Gabi rêve d'étudier les sciences sociales et peut-être, un jour, de gérer un hôtel à l'étranger. « Je ne veux absolument pas être simple réceptionniste », confie-t-elle avant d'avouer, après y avoir été encouragée, qu'elle veut être la chef. « Le commerce me plaît parce que j'aime inciter les gens à travailler en équipe pour atteindre certains résultats... C'est une sorte de mécanisme humain. »
Gabi s'est inscrite à des cours d'allemand l'an prochain et vise d’excellentes notes afin d'augmenter ses chances de décrocher une bourse. « J'espère pouvoir partir étudier en Allemagne et vivre avec ma mère », confie-t-elle. « Je rattraperai le temps perdu et, avec un peu de chance, le reste de la famille nous rejoindra. »

 

L'UNICEF en République de Moldova

Avec un PIB par habitant d'à peine 5 006 dollars des États-Unis, le produit intérieur brut (PIB) de la République de Moldova est l'un des plus bas d'Europe centrale et de l'Est. Depuis la chute de l'Union soviétique et le déclin du secteur industriel qui en a découlé, et en raison de la détérioration de la conjoncture économique, l'économie moldave est fortement tributaire de l'agriculture et de l'argent envoyé au pays de l'étranger.
 

En République de Moldova, cela pose un problème particulier aux parents qui n’ont souvent d’autre option que de vivre dans la pauvreté ou de quitter leurs enfants. L'UNICEF œuvre avec le gouvernement à la lutte contre la pauvreté touchant les enfants et au placement des enfants laissés pour compte dans des familles plutôt que des institutions.

 

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