Mesurer les progrès
par Peter Adamson
Depuis 1980, l'UNICEF s'efforce de surveiller les progrès des enfants
du monde en publiant, pays par pays, des statistiques de base sur leur bien-être,
avec pour principaux indicateurs le taux de mortalité des enfants
de moins de cinq ans, le pourcentage d'enfants souffrant de malnutrition,
la couverture vaccinale et la proportion d'enfants atteignant au moins la
cinquième année de l'enseignement primaire.
Ces mesures, toujours valables, continueront d'être utilisées.
Mais quand les besoins les plus manifestes de la majorité (80 ou
90 %) des enfants d'un pays sont satisfaits, il faut délaisser les
chiffres nationaux globaux au profit d'un suivi détaillé qui
aidera à identifier les enfants exclus du progrès. En résumé,
il s'agit de surveiller la réduction des disparités.
De nouveaux critères
Pour la majorité des enfants qui vivent dans des sociétés
où les besoins élémentaires sont satisfaits, de nouveaux
critères sont nécessaires pour juger des progrès ou
des reculs. Dans toutes ces sociétés, de nouveaux défis
et de nouvelles préoccupations se manifestent. Parfois, ces préoccupations
en apparence récentes sont en fait des problèmes déjà
anciens qui prennent plus de relief à mesure que s'atténuent
les maux plus fréquents ou plus graves. Dans d'autres cas, on observe
simplement de nouvelles difficultés dues ou associées aux
processus de modernisation et de progrès économique qui ont
permis de surmonter les «anciens problèmes».
Quoi qu'il en soit, la surveillance reste importante pour informer les politiques
et répartir efficacement les ressources disponibles. De même,
les comparaisons entre nations sont toujours utiles, pour montrer ce qu'il
est possible de faire par des politiques et des priorités différentes,
ainsi que pour stimuler la fierté nationale et encourager l'action.
Cependant, dès que l'on dépasse le niveau de base, la surveillance
des progrès devient plus complexe.
Tous les indicateurs sont des jugements de valeur, intégrant des
notions implicites de ce qui est bon ou mauvais, positif ou négatif,
recommandé ou déconseillé. Si l'on prend pour indicateur
le taux de survie des enfants, une nutrition satisfaisante ou l'accès
aux soins de santé primaires, les jugements de valeur sous-entendus,
quoique certainement présents, ne posent guère de difficulté
car ils sont largement acceptés dans toutes les sociétés.
En d'autres termes, le sens du progrès et, par conséquent,
les données qui doivent être mesurées font l'objet d'un
vaste consensus. Mais au-delà de ces notions élémentaires,
il est possible, et même souhaitable, d'apporter beaucoup plus de
diversité dans la conception et la définition des progrès,
dans les valeurs sous-jacentes et donc dans la sélection des données
à mesurer et des moyens à employer pour y parvenir.
Photo: Les enfants du monde industrialisé
se trouvent confrontés à bien des problèmes, anciens
ou plus récents. ©
En outre, le choix des indicateurs est fréquemment influencé
par les options politiques ou les technologies existantes et, là
encore, la complexité s'accroît lorsque les besoins de base
ont été dépassés. Si, par exemple, on a choisi
le taux national de vaccination comme indicateur principal de progrès
chez les enfants, c'est parce que tout le monde juge inacceptable de contracter
une maladie évitable, mais aussi parce qu'il existe des vaccins peu
coûteux qui sont également efficaces dans presque tous les
environnements sociaux et culturels. Il en va de même pour nombre
des indicateurs susceptibles d'être sélectionnés dans
les sociétés qui ont franchi ce premier stade.
De nouvelles mesures
Un groupe de 35 experts en différentes disciplines liées au
bien-être des enfants s'est réuni à Jérusalem
au début de l'année pour examiner ces questions. Parrainée
par plusieurs organisations internationales, cette conférence* était
la première d'une série de réunions qui tenteront «de
mettre au point des indicateurs plus appropriés permettant de comparer
la condition et le bien-être des enfants dans les sociétés
industrielles développées».
Lors de cette session initiale de quatre jours, les participants ont consacré
beaucoup de temps à débattre des cadres conceptuels, même
si nombre d'entre eux ont reconnu que les dix années de négociations
ayant abouti à la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989,
ratifiée par presque tous les gouvernements, avaient déjà
tracé un chemin à travers le terrain miné des jugements
de valeur transculturels.
Pourtant, définir des indicateurs spécifiques et mesurables
qui reflètent les principes de la Convention s'avère une tâche
chargée de difficultés, tant conceptuelles que pratiques.
L'un des principaux écueils contre lequel les propositions d'indicateurs
spécifiques butent constamment est la pénurie des données.
Même si l'on possède généralement beaucoup d'informations
sur les sociétés économiquement avancées, ces
données ne sont pas toujours représentatives de la situation
nationale ou disponibles sous une forme permettant des comparaisons internationales.
Même une mesure relativement simple comme le pourcentage d'enfants
qui fument des cigarettes peut se révéler inexploitable du
fait que les années de référence, les groupes d'âge
et les définitions du tabagisme diffèrent selon les pays.
Ce ne sont là que quelques-uns des obstacles que l'initiative de
Jérusalem devra lever lors de ses deux autres sessions avant de présenter
ses recommandations finales, attendues en 1998, sur un ensemble d'indicateurs
internationalement comparables pour surveiller le bien-être des enfants
dans les sociétés économiquement avancées. Un
forum sera bientôt établi sur Internet afin de maintenir l'élan
de cette entreprise et élargir la participation au processus.
En attendant, on trouvera dans les quatre pages suivantes des données
sur plusieurs indicateurs du bien-être des enfants envisagés
à Jérusalem et pour lesquels on dispose déjà
de statistiques relativement actualisées et comparables sur le plan
international. Le choix des indicateurs -- la proportion d'enfants vivant
au-dessous du seuil national de pauvreté, la proportion de jeunes
à chaque niveau d'alphabétisation, le taux de fécondité
des adolescentes, le tabagisme chez les adolescents, le taux de suicide
des jeunes, le taux de décès par accident et le pourcentage
d'enfants grandissant sans père -- est à ce stade déterminé
presque entièrement par la disponibilité de données
comparables entre pays.
Qualité de vie
A l'avenir, il devrait être possible de commencer à publier
des comparaisons transnationales des progrès ou des reculs relatifs
aux enfants, fondées sur d'autres indicateurs, ou sur des ensembles
d'indicateurs portant sur des domaines d'intérêt particuliers,
et de fournir le type de contexte et d'analyse qui rendront ces données
plus utiles. Ces indicateurs pourraient mesurer le bien-être psychologique
des enfants, les comportements à risque, l'emploi du temps, la qualité
du soutien familial, l'espoir et la confiance ou l'anxiété
et la peur du lendemain, la stabilité résidentielle, la qualité
de l'environnement familial et local, la présence (ou la menace)
de la violence dans la vie des enfants, la criminalité perpétrée
ou subie par les jeunes, la disponibilité de temps libre et d'équipements
de loisirs, la qualité de vie des enfants handicapés ou souffrant
de maladies chroniques, et certaines mesures de l'exclusion sociale.
Cette liste est à elle seule révélatrice de la complexité
du processus, mais aussi de sa nécessité.
* La conférence a été parrainée par les
instances suivantes: Conseil national pour l'enfant (Israël), Institut
JDC/Brookdale (Israël), Centre européen de recherche en politique
sociale (Autriche), International Youth Foundation (Etats-Unis),
Institute for Families in Society, University of South Carolina (Etats-Unis).
Peter Adamson, éditeur du Progrès des Nations, présente
l'initiative de Jérusalem qui tente de définir des indicateurs
pour surveiller et comparer le bien-être des enfants dans les sociétés
économiquement avancées.
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