Pour qu'elles restent à l'école
par Patricia Lone
Si vous vous rendez dans une école primaire du monde en développement,
vous y trouverez surtout des garçons.
Des facteurs qui contribuent à la fin précoce des études
des filles, l'une des principaux est la pauvreté. Cotisations diverses,
uniformes, livres, trajets en bus peuvent rendre l'école onéreuse
même quand l'enseignement est gratuit - surtout quand la famille compte
beaucoup d'enfants. Lorsqu'elle considère l'aide que peut apporter
une fille pour le ménage, la cuisine, la collecte d'eau et de bois,
le soin aux jeunes enfants, et combien minces sont les chances qu'aura cette
fille de trouver un travail rémunérateur même si elle
achève ses études, une famille pauvre risque fort de juger
que le jeu n'en vaut pas la chandelle. C'est donc le plus souvent les filles
que l'on retire de l'école.
Même pour celles qui y restent, le fardeau du travail domestique interfère
avec les progrès scolaires. Selon une étude dans les écoles
primaires du Mozambique, les mauvais résultats des filles ont pour
cause principale leur travail domestique, le temps qu'il absorbe et la fatigue
qu'il entraîne.
Pour empêcher les filles d'aller à l'école, des facteurs
traditionnels se joignent à la pauvreté, le plus influent
étant sans doute l'idée qu'il faut donner de l'instruction
aux garçons parce qu'ils auront à gagner le pain de leur famille
et à soutenir leurs vieux parents. On considère que le travail
des filles, même plus long et plus dur, a moins de chance d'apporter
de l'argent au foyer. En outre, dans les cultures où le mariage assimile
la femme à la famille du mari, les parents sont moins tentés
encore de payer une éducation aux filles.
Pourtant, si on les interroge, bien des familles pauvres disent qu'elles
voudraient voir leurs filles instruites. Beaucoup de jeunes filles restent
chez elles non pas en raison de la pauvreté ou de l'intransigeance
culturelle des parents, mais parce que ceux-ci ne jugent pas appropriée
l'éducation offerte à leurs filles, ou parce qu'ils estiment
les risques trop importants.
Photo: Dans la plupart des pays en développement,
on envoie plus volontiers à l'école les garçons que
les filles. ©
Ces risques sont réels: harcèlement sexuel, et parfois viol,
par des camarades de classe ou des enseignants, ou sur le chemin de l'école.
Dans bien des pays, ils sont la principale raison du faible taux de scolarisation
et de maintien à l'école des filles. Si les classes sont surchargées,
les enfants mal surveillés, les garçons indisciplinés
et violents, beaucoup de filles se sentent menacées, et beaucoup
de parents craignent pour leur sécurité. S'il n'y a pas de
locaux ou de classes qui leur soient réservés, si tous les
enseignant sont des hommes, si l'écoles est trop éloignée
de la maison ou de la communauté, les filles la désertent.
Ainsi, en Egypte, une étude a montré que la scolarisation
des filles atteignait à peine 30 % si les écoles étaient
situées à trois kilomètres ou plus de chez elles, mais
dépassait 70 % si la distance était inférieure à
un kilomètre. Ici encore, la pauvreté joue un rôle.
La pudeur, les convenances, forcent à rester chez elles les jeunes
filles pauvres qui n'ont pas de vêtements adéquats. Le début
de la menstruation peut être la fin de leur scolarité pour
les filles qui ne disposent pas d'une protection hygiénique correcte,
ou dont les écoles n'ont pas de toilettes séparées
pour les filles et les garçons.
Rares sont les gouvernements et les agences de développement qui,
dans leurs décisions sur la scolarisation des filles, ont tenu le
compte voulu des nombreux besoins, risques et craintes des enfants et de
leurs familles.
Pas de réponse unique
Tout comme il n'y a pas une cause unique à la faiblesse du taux de
scolarisation des filles, il n'y a pas de réponse unique.
De nombreuses tentatives sont lancées, la plupart à petite
échelle et non encore évaluées. Les traits communs
des expériences faites à ce jour semblent être la création
de classes ou d'écoles plus proches de la communauté (au moins
pour les petites classes primaires); la participation des parents et des
communautés locales au fonctionnement des écoles; la formation
d'un plus grand nombre d'enseignantes; l'offre d'avantages financiers aux
familles qui laissent leurs filles à l'école jusqu'à
une classe déterminée; le développement d'un autre
type d'éducation pour tenter d'enseigner à un plus grand nombre
de filles les éléments de base de la lecture, de l'écriture,
du calcul et de la vie quotidienne; ces campagnes d'information sur l'importance
de l'instruction des filles; des programmes souples (permettant aux petites
filles de remplir leurs tâches ménagères); enfin, une
plus grande part faite à l'éducation préscolaire, pour
essayer à la fois de réduire les abandons ultérieurs
et de permettre aux fillettes de suivre leurs cours pendant que leurs jeunes
frères et soeurs sont pris en charge.
Quelques initiatives
* Au Bangladesh, les 35 000 écoles communautaires ouvertes par le
BRAC (Comité pour le développement rural du Bangladesh) ont
jusqu'ici reçu 982 000 élèves, dont 70 % de filles.
La plupart des enseignants y sont des femmes ayant accompli neuf ou dix
années d'études et vivant dans la communauté. La gestion
de l'école est assurée par un comité du village, et
il y a chaque mois une réunion parents-enseignants, à laquelle
on estime essentiel de voir participer les mères.
* Le Mali a ouvert 75 «écoles du village» à parité
obligatoire: 15 garçons et 15 filles dans chaque classe. Ces écoles
sont gérées par un comité choisi par la communauté.
On y trouve deux fois plus de filles que dans le système traditionnel.
* Dans des zones rurales du sud de l'Egypte, où quelques 500
000 fillettes ne sont pas scolarisées dans le primaire, on construit
des écoles communautaires locales pour réduire les distances
que ces enfants ont à parcourir. Les 110 écoles terminées
à ce jour accueillent autour de 3000 élèves, dont 70
à 80 % de filles.
* Au Pakistan, dans l'une des régions les plus isolées et
traditionalistes du pays, où le taux d'alphabétisation des
femmes ne dépasse pas 4 %, 300 nouvelles écoles de village
reçoivent 14 000 petites filles. Le succès du projet de Baloutchistan,
financé par diverses organisations internationales, est dû
pour partie à son unité mobile de formation d'institutrices
qui permet à des femmes ayant fait huit à dix ans d'études
d'apprendre à enseigner sans quitter leur village. A ce jour, plus
de 400 d'entre elles ont reçu l'aval du gouvernement. Les écoles
elles-mêmes sont gérées par des comités villageois
élus par 75 % au moins de tous les parents ayant des enfants d'âge
scolaire.
* Toujours au Pakistan, un projet similaire a ouvert ces cinq dernières
années au Pendjab 114 écoles, pour quelque 3000 petites filles.
Tout le personnel d'enseignement et de surveillance est féminin,
et le calendrier scolaire est très souple pour permettre aux fillettes
d'assurer les travaux agricoles saisonniers qui leur incombent.
* Au Sénégal, l'agence Tostan a mis en route un programme
visant à apporter une éducation de type non formel à
1400 fillettes de 20 villages. Tostan privilégie la souplesse des
horaires et calendriers, mais travaille aussi à promouvoir l'usage
de fours peu gourmands en énergie pour épargner aux petites
filles les nombreuses heures quotidiennes de corvée de bois.
* Au Burkina Faso, 30 écoles satellites ont été ouvertes
pour accueillir en nombre égal des garçons et des filles de
sept à neuf ans qui ont abandonné les études. Après
trois années d'école satellite, où l'enseignement est
dispensé dans la langue locale par des enseignants recrutés
sur place, les élèves peuvent réintégrer le
système scolaire classique.
* Au Népal, on propose à des fillettes ayant abandonné
l'école un enseignement non formel à raison de deux heures
par jour, six jours par semaine et neuf mois par an, à l'issue duquel
elles peuvent réintégrer le système classique. Jusqu'ici,
70 000 petites filles s'y sont inscrites. Par ailleurs, le gouvernement
népalais verse une petite allocation aux parents pauvres dont les
filles fréquentent l'école.
Pourquoi les filles abandonnent-elles plus l'école
que les garçons? Comment arriver à les y faire rester? Enquête
de Patricia Lone (UNICEF), à partir de recherches d'Ann Cotton (Cambridge
Female Education Trust, Royaume Uni), Randy Hatfield (Academy for Educational
Development, Etats-Unis), Peter Laugharn (Save the Children Federation),
Molly Melching (projet d'alphabétisation Tostan, Sénégal),
et Sautamini Siegrist, Rosa María Torres et Malak Zalouk (UNICEF).
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