À Raqqa, les enfants sont poursuivis par la violence et les déplacements

Les enfants et leur famille fuient leur maison pour se réfugier dans des abris et des camps temporaires de fortune installés dans la région

Par Massoud Hassan and Yasmine Saker
UNICEF/UN067457/Souleiman
07 juin 2017


RAQQA, République arabe syrienne, le 7 juin 2017 – Reem, 19 ans, a mûrement réfléchi avant de prendre la courageuse décision, il y a presque trois semaines, de fuir Raqqa. Peu avant minuit, elle a pris sa petite fille de 10 mois sous le bras et réuni quelques affaires avant d’entamer un voyage qui allait les plonger encore davantage dans la misère.

Mariée de force à son cousin lorsqu’elle avait seulement 16 ans, Reem s’occupe désormais seule de leur fille, Sadil. Son mari les a abandonnées lorsqu’elle était enceinte.

« Je n’ai jamais rêvé de me marier si jeune », confie-t-elle. « Je voulais terminer ma scolarité et aller à l’université. Mais à Raqqa, les filles célibataires se retrouvaient mariées de force à des combattants de l’EI, donc mes parents m’ont protégée en me mariant à mon cousin. »

UNICEF/UN067440/Souleiman

Un enfant s’approvisionne en eau dans le camp d’Aïn Issa, dans le nord-est de la République arabe syrienne. L’UNICEF répond aux besoins des familles vulnérables en acheminant par camion 975 000 litres d’eau chaque jour à 120 000 personnes déplacées dans des camps des gouvernorats de Raqqa et d’Hassaké, dont les camps de Mabrouka, d’Al-Hol et d’Aïn Issa.

Le moindre mal

Reem et sa fille font partie des quelque 40 000 personnes contraintes de fuir leur maison à la suite de la multiplication des combats à Raqqa au cours des dernières semaines. Depuis novembre 2016, le gouvernorat est le terrain de violences incessantes qui ont provoqué le déplacement de 107 000 personnes. Les attaques et les bombardements se sont intensifiés, détruisant des infrastructures et brisant la vie de nombreux civils.

La violence n’est pas la seule raison qui pousse les personnes à abandonner leur maison. Les enfants et leur famille ont énormément souffert au cours des quatre dernières années et ils n’ont bénéficié que d’une aide réduite. En effet, l’insécurité et les restrictions relatives à l’acheminement de l’aide humanitaire ont sévèrement limité l’accès à la région. Le dernier convoi d’aide interinstitutions des Nations Unies ayant pu atteindre Raqqa remonte à octobre 2013.

Les habitants de Raqqa font face à des épreuves supplémentaires. Ils doivent composer avec les restrictions qui leur sont imposées, que ce soit au niveau de l’enseignement ou d’autres aspects de la vie quotidienne, sont privés des services les plus élémentaires et doivent payer les produits de base au prix fort.

« Dans ma ville, les stylos et le papier sont interdits », déclare Reem. « Des femmes et leur nouveau-né meurent car elles sont contraintes d’accoucher chez elles, sans assistance médicale. Des enfants perdent la vie sur les champs de mines, d’autres sont recrutés par des groupes extrémistes et forcés à combattre dès l’âge de neuf ans, avant d’être renvoyés à leur famille dans un cercueil. Ce n’est pas la vie que je veux pour ma fille. »

« J’ai dû choisir le moindre mal », explique la jeune femme. « Ou je laissais ma fille vivre cette vie, sans aucun accès aux soins de santé, à l’éducation ou à une enfance normale, ou je prenais le risque de partir. »

UNICEF/UN067443/Souleiman

Bilal, 10 ans, est arrivé au camp d’Aïn Issa avec sa famille il y a trois jours, après un éprouvant voyage de deux jours. « Nous avons passé la nuit chez une famille dans les montagnes. Nous étions tous épuisés de marcher et de porter nos couvertures et notre nourriture », raconte le jeune garçon, forcé d’abandonner l’école en première année de primaire.

Une route périlleuse vers la sécurité

Accompagnée de quelques voisins fuyant également les quartiers nord-est de la ville, Reem a roulé pendant des heures dans le désert, maintenant le cap vers l’ouest en direction d’Al-Jurneyyeh. Le groupe a passé deux nuits dans un camp improvisé avant de poursuivre son périlleux voyage à pied.

« Nous avons dû traverser un champ de mines », raconte Reem, tandis qu’elle se remémore les étapes de ce voyage terrifiant. « Je portais ma fille et je me disais que nous pouvions mourir à tout moment dans une explosion. »
Reem et ses voisins ont ensuite dû traverser dans l’obscurité un long tunnel rempli d’eau. Ils ont marché le dos courbé, de l’eau jusqu’à la taille, pendant trois heures.

« Je portais ma fille sur mon dos pour qu’elle n’avale pas d’eau », se souvient la jeune femme. « Elle a pleuré pendant toute la traversée du tunnel, avant de s’endormir d’épuisement. »

Lorsque Reem et ses voisins se sont finalement retrouvés en sécurité dans le camp de Mabrouka, un refuge temporaire hébergeant 2 000 familles déplacées, ils ont fait face à des conditions de vie difficiles. Pendant 10 jours, ils n’ont eu qu’un accès limité à l’eau et à la nourriture et ont dormi dehors, sans la moindre couverture pour se réchauffer.

UNICEF/UN067453/Souleiman

Horriya, 12 ans, est arrivée avec sa famille au camp d’Aïn Issa il y a quelques jours, après un voyage de trois jours depuis Raqqa. « Je n’ai pas eu peur sur le chemin. Nous entendions des avions et des bombardements, mais nous y sommes habitués. Nous en voyons et nous en entendons tous les jours », dit-elle. Sur cette photo, elle est partie chercher de l’eau pour sa famille.

Une nouvelle vie

Reem et sa petite fille, Sadil, ont réussi à atteindre la ville de Qamichli la semaine dernière. Reem a l’intention d’y commencer une nouvelle vie, loin de toutes les épreuves qu’elle a traversées.

« Je veux que le monde entier sache combien nous avons souffert, mais je veux aussi qu’il sache que je m’apprête à commencer une nouvelle vie », confie-t-elle dans un sourire.

« Je vais retourner à l’école et j’irai à l’université. Je vais réaliser mes rêves pour que ma fille et moi puissions avoir une belle vie. »

L’UNICEF s’attache à répondre aux besoins des familles vulnérables comme celles de Reem en acheminant par camion 975 000 litres d’eau chaque jour à 120 000 personnes déplacées dans des camps des gouvernorats de Raqqa et d’Hassaké, dont les camps de Mabrouka, d’A-Hol et d’Aïn Issa. L’UNICEF a installé des latrines, des douches et des réservoirs d’eau dans les camps et distribue des kits d’hygiène aux familles afin de protéger les enfants des maladies transmises par l’eau.

L’UNICEF a monté des dispensaires mobiles afin de fournir des soins de santé primaires, y compris des services de vaccination pour les enfants et leur mère, et distribue régulièrement des compléments alimentaires.

L’UNICEF a également aménagé des espaces amis des enfants afin que ces derniers puissent apprendre et jouer et qu’ils disposent d’un soutien psychologique pour surmonter les traumatismes qu’ils ont subis. Ces espaces et les activités qui y sont organisées contribuent à structurer la vie des enfants et à leur permettre de retrouver un peu de normalité.

Cependant, il reste encore énormément à faire pour répondre aux besoins des enfants et des familles déplacés. L’UNICEF appelle l’ensemble des parties au conflit à protéger les enfants en toutes circonstances et à accorder aux personnes touchées par la violence un accès immédiat et inconditionnel à une aide humanitaire vitale.