Gérer les effets à long terme de la pandémie sur la santé mentale de votre enfant
Conseils d’une experte psychologue pour aider votre enfant

Points importants à retenir
- La pandémie a privé les enfants de possibilités de développement normales.
- Ayant perdu la pratique de leurs aptitudes sociales, ils peuvent avoir plus besoin qu’auparavant d’un accompagnement et d’instructions explicites de la part de leurs parents.
- Il est naturel que les enfants se sentent perturbés par la pandémie.
- Il convient d’accorder une attention particulière aux enfants manifestant un excès de prudence et à ceux qui ont manqué des étapes importantes de leur scolarité, deux conséquences majeures de la pandémie.
La pandémie de COVID-19 a constitué une période particulièrement difficile pour les enfants. Par rapport aux adultes, ils se sont vus privés d’une part plus importante de leur vie, et la disparition de l’apprentissage en présentiel, ainsi que de leurs activités favorites avec leurs amis, a eu un effet désastreux. Alors que l’on commence à envisager le monde après la pandémie de COVID-19, de nombreux adultes et enfants éprouvent des difficultés à laisser derrière eux la peur et l’incertitude.
Nous nous sommes entretenus avec la docteure Lisa Damour, psychologue spécialisée dans l’adolescence, auteure à succès, contributrice régulière au New York Times et mère de deux enfants, sur la manière dont nous pouvons aider et guider nos enfants dans la redécouverte de la vie après la pandémie.
De quelle manière la pandémie a-t-elle influé sur le développement des enfants ?
Durant la pandémie, les enfants ont tous été privés de possibilités de développement normales. La compagnie d’un éventail d’adultes bienveillants, le temps passé avec leurs camarades et la participation à des expériences nouvelles et intéressantes sont autant d’éléments qui aident les plus jeunes à grandir et à apprendre. Or, c’est précisément ce dont tous les enfants et les adolescents ont manqué durant la pandémie, outre les autres pertes qu’ils ont pu subir. Le champ de leur vie s’est, par nécessité, beaucoup rétréci et quasiment limité au domicile. Et si cette situation les a certainement protégés contre la COVID-19, elle les a incontestablement privés de la variété et de la complexité de la vie, qui constituent un aspect salutaire et indispensable du développement.
En quoi les aptitudes sociales des enfants ont-elles été affectées par la pandémie ?
Les enfants ont perdu la pratique des aptitudes sociales. Ils apprennent à vivre en bonne harmonie avec les autres notamment en passant du temps avec eux, en nouant des amitiés et en côtoyant des personnes qu’ils n’auraient pas nécessairement choisi de fréquenter. C’est avec la pratique que les enfants et les adultes améliorent leurs capacités dans ce domaine. Nous observons ainsi des signes de retard de développement s’agissant de certaines aptitudes sociales chez les enfants. Si cela était prévisible, nous pouvons néanmoins y remédier.
Il est particulièrement important d’être très explicite avec les enfants sur la manière dont nous voulons qu’ils gèrent les difficultés qu’ils rencontrent. Par exemple, si un enfant arrache un jouet des mains d’un autre enfant, vous pouvez lui dire : « Je comprends que tu veuilles ce jouet, mais tu dois le demander en posant la question suivante : “ Quand tu auras fini, tu pourras me le donner ? ” » Ne soyez pas frustré(e) lorsque votre enfant ne connaît pas les modes d’interaction adaptés à son stade de développement. Nous ne devons pas nous attendre à ce qu’ils les devinent par eux-mêmes. Il nous faudra peut-être accompagner davantage les enfants et leur donner des instructions plus explicites qu’auparavant.
Lorsque les enfants pleurent à cause de tout ce qu’ils ont manqué, ils éprouvent le bon sentiment au bon moment.
Quels effets de la pandémie sur la santé mentale des enfants avez-vous observés ?
La pandémie a incontestablement provoqué une profonde détresse chez les enfants et leur famille. Les enfants sont particulièrement tristes, anxieux, voire très en colère à cause de tout ce qu’ils ont traversé. Ce que nous allons probablement observer à très court terme, ce sont des enfants légèrement plus fragiles d’un point de vue émotionnel qu’en temps normal. Nous pouvons les aider à surmonter cela en nous montrant patients avec eux, en les aidant à verbaliser leurs sentiments ou à trouver d’autres moyens de s’exprimer, tels que l’art, et en leur apportant du réconfort et de l’empathie.
Je pense qu’il est toutefois capital d’arriver à distinguer détresse psychologique et problème de santé mentale. La pandémie a généré de l’anxiété chez toutes les personnes, et le fait de se sentir perturbé(e) par cet événement et les conditions de vie qu’il a imposées constitue une réaction naturelle. Nous devons nous inquiéter de l’existence d’un problème de santé mentale uniquement lorsque l’enfant est incapable de gérer ces sentiments par des moyens d’adaptation lui permettant de se sentir mieux et ne lui portant pas préjudice.
Lorsque les enfants pleurent à cause de tout ce qu’ils ont manqué, ils éprouvent le bon sentiment au bon moment. Ils gèrent ce sentiment de manière efficace en l’exprimant par des larmes et, espérons-le, en trouvant du réconfort auprès d’adultes bienveillants. En revanche, si un enfant est triste à cause de tout ce qui est arrivé, et est incapable de trouver seul et/ou avec de l’aide des moyens de se sentir mieux, s’il adopte des comportements préjudiciables aux autres ou à lui-même, ou si sa tristesse est si profonde qu’elle commence à interférer avec sa capacité d’apprécier quelque chose ou de ressentir de l’espoir, nous devons alors considérer son état comme un problème de santé mentale et veiller à ce que cet enfant bénéficie du soutien nécessaire.
Que peuvent faire les parents inquiets de la réaction de leur enfant face aux sentiments difficiles ?
Je pense que la première chose à faire est de reconnaître qu’il souffre. « Ta réaction est normale. Tu éprouves le bon sentiment au bon moment. Nous avons vécu une période extrêmement difficile, et tu l'as surmontée. »
La deuxième étape consiste à déterminer si c'est le sentiment qui pose problème ou l’expression de ce sentiment. Vous pouvez lui dire : « Je comprends que tu sois perturbé(e), mais la manière dont tu nous fais savoir ce que tu ressens (lorsque tu es désagréable avec tout le monde autour de toi ou que tu es incapable de sortir de ton lit) te fait du mal ou blesse les autres, et nous devons demander de l’aide pour que tu puisses trouver des moyens adaptés de te soulager de ce sentiment. »
>>Lire : Comment reconnaître les signes de stress chez les enfants
Les enfants ont dû éviter de nombreuses choses au nom de la santé physique. Mais au nom de la santé mentale, dès lors que le retour à la vie normale ne présente plus de danger, il est important qu’ils commencent à reprendre les activités habituellement associées à l’enfance et à l’adolescence.
À l’issue de la pandémie, vous attendez-vous à observer des effets durables sur la santé mentale des enfants ? Que peuvent faire les parents pour les atténuer ?
Je pense que les conséquences que nous devons nous efforcer de prévenir chez les enfants sont notamment une extrême prudence résultant de la pandémie. Celle-ci a limité leur existence, et je ne souhaite pas voir des enfants continuer à mener une vie très restreinte alors que cela n'est plus nécessaire et les priverait de toute la variété d’événements qui leur permet de s’épanouir et de se développer.
Une autre conséquence de la pandémie sur les enfants à laquelle nous devons être attentifs est le fait, pour certains, d’avoir manqué une étape dans leur scolarité. Il est indispensable d’y remédier et de rattraper les retards d’apprentissage. Je crains que certains enfants n’aient complètement décroché scolairement. Ces enfants ont absolument besoin d’un soutien scolaire, social et émotionnel afin de reprendre leur apprentissage à un rythme raisonnable.
Nous devons prévenir ces conséquences en continuant avant tout d’encourager les enfants à prendre leur envol lorsque tout danger sera écarté. Si la perspective du retour à la vie normale les rend particulièrement nerveux, nous pouvons leur rappeler que rien ne les oblige à tout faire en même temps. Ils peuvent avancer pas à pas. N’oublions pas qu’au fil du temps, l’évitement nourrit l’anxiété. Les enfants ont dû éviter de nombreuses choses au nom de la santé physique. Mais au nom de la santé mentale, dès lors que le retour à la vie normale ne présente plus de danger, il est important qu’ils commencent à reprendre les activités habituellement associées à l’enfance et à l’adolescence.
En ce qui concerne la problématique scolaire, un travail colossal nous attend pour comprendre ce que chaque enfant a appris et n’a pas appris à l’école, car l’éventail des apprentissages (même dans une seule classe) est très large. Durant la pandémie, de nombreux enfants ont eu de réelles difficultés d'apprentissage, y compris ceux qui avaient facilement accès à des ressources en ligne, ce qui n’était pas le cas de la majorité d’entre eux. La tâche à venir va donc consister à déterminer les lacunes, et à trouver des moyens d’y remédier, afin que la perte d’heures d’enseignement durant la pandémie ne porte pas préjudice à la suite de leur éducation.
De quelle manière les parents inquiets de laisser leurs enfants prendre leur envol peuvent-ils trouver un soutien ?
Il est important de garder à l’esprit que les parents ont eux aussi manqué des étapes en matière de développement. Dans des conditions normales, nos enfants s’ouvrent au monde progressivement. En tant que parents, ce processus graduel nous aide en partie à encourager nos enfants à exercer leur indépendance. Je pense qu’à l’heure actuelle, l’une des difficultés auxquelles se heurtent de nombreux parents réside dans le fait que pendant la pandémie, leurs enfants et leurs adolescents sont restés à proximité immédiate de chez eux. Et lorsque des parents ont gardé leur enfant tout près d’eux, il n’est pas facile pour eux de le laisser ensuite acquérir le niveau d’indépendance adapté à son âge. Pour ma part, j’encouragerais les parents à non seulement aider leurs enfants à prendre leur envol, mais également à chercher du soutien pour surmonter l’épreuve parfois difficile de voir son enfant quitter le nid.
Discuter avec des parents qui ont élevé des enfants du même âge que le vôtre avant la pandémie est une chose qui peut vous aider. Faites-vous confirmer par ces parents ce qu’un enfant de 10 ans, de 13 ans ou de 16 ans est censé pouvoir faire de manière autonome. Lorsque les parents ont confiance dans la capacité de l’enfant à se débrouiller seul, ils contribuent à renforcer sa confiance dans sa capacité à agir en autonomie.
>>Lire : Comment accompagner votre enfant lors de la réouverture
Entretien et article réalisés par Mandy Rich, rédactrice de contenus numériques à l’UNICEF