Une jeunesse volée
Des milliers d’enfants ont été enrôlés et utilisés par les milices dans la région du Kasaï pour se battre et tuer ou servir de bouclier humain.
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Tout était paisible autrefois dans le quotidien de milliers d’enfants dans la région du Kasaï au centre de la République Démocratique du Congo (RDC). Anto*, 12 ans, partageait son temps entre l’école, les tâches ménagères et ses amies. « J’étais très contente de faire tout ça », se rappelle la jeune fille qui adorait jouer à la dînette.
Mais lorsque les miliciens ont commencé à semer la terreur, tout a basculé. « Ils ont décapité ma mère devant moi », explique Anto qui s’est retrouvée seule. « Les miliciens m’ont interdit de pleurer sinon ils allaient me décapiter aussi », poursuit la jeune fille qui a été enrôlée de force. Anto est restée pendant trois mois au sein de la milice où les plus jeunes enfants servaient de porteurs, cuisiniers ou boucliers humains.
Les enfants représentaient au moins 60% des forces miliciennes de la région du Kasaï, des milliers de mineurs ayant été forcés à prendre les armes. En intégrant la milice, les enfants subissaient un rituel de baptême durant lequel les soldats en devenir, quel que soit leur âge, acquièrent des pouvoirs surnaturels pour les protéger durant les combats. « On m’a fait avaler des termites vivants afin que si on me tire dessus, les balles ne m’atteignent pas », raconte Annabelle*, 17 ans, qui a rejoint la milice après la mort de son père.
Les jeunes filles comme Anabelle étaient placées en première ligne lors des attaques pour stopper les balles. « J’étais placée devant, totalement nue, afin de distraire les militaires », confie Anabelle. « Pendant les affrontements je ne craignais rien car j’étais baptisée », poursuit l’adolescente qui a participé à plusieurs combats.
Les garçons - eux - tenaient des armes et avaient pour but d’éliminer les militaires. « J’ai tué beaucoup de personnes mais je ne me souviens pas combien », raconte Junior*, 17 ans. « Tout ce qui se trouvait devant, il fallait que je le tue », poursuit froidement Junior, qui confie avoir été envoyé par un esprit à la suite de son baptême.
Au fil des défaites et de la déroute progressive de la milice, les enfants ont été invités à sortir de la forêt, où la milice était retranchée. « Des sensibilisateurs sont venus nous trouver pour nous dire qu’il fallait sortir en paix et qu’on ne serait pas arrêté », raconte Anto qui rêvait de retrouver une vie normale
Peu à peu, des centres soutenus par l’UNICEF ont commencé à accueillir un certain nombre d’enfants sortis des milices. Encadrés pendant plusieurs mois par des infirmiers, des psychologues, des enseignants et des travailleurs sociaux, ils réapprennent le vivre ensemble et retrouvent un semblant de normalité. Beaucoup y apprennent les bases de la lecture et de l’écriture. « J’étais contente car j’avais une éducation et on nous apprenait l’alphabet », se rappelle Anto.
Une nouvelle vie commence, marquée par les incertitudes d’un nouveau quotidien où il faut se reconstruire. « Je me suis enrôlée sans savoir ce que je faisais, sans savoir que c’était mal », confie Annabelle qui porte maintenant le poids de passé. « Je regrette et les gens me jugent pour ce que j’ai fait », raconte tristement Annabelle, 17 ans, qui ne peut plus retourner vivre au sein de sa famille.
Victimes du conflit interne, Anto, Anabelle et Junior doivent réapprendre le quotidien d’une vie normale. Parce qu’ils ont été les bourreaux dans ce conflit, certains enfants ne peuvent plus rentrer chez eux. Considérés comme des meurtriers par leur communauté, les enfants qui ont été enrôlés dans les milices doivent désormais vivre éloignés de leur communauté. « Notre papa nous parlait souvent de son frère qui habitait Tshikapa », confie Junior qui habite depuis peu chez son oncle où il tente de se reconstruire. « Maintenant je suis de retour à l’école et je veux être médecin pour pouvoir aider les gens », conclut Junior qui sait que le chemin vers une vie normale passe désormais par celui de l’école.
En 2019, l'UNICEF a apporté un soutien psychosocial et des soins à 3.073 enfants anciennement associés à des forces armées et des groupes armés à travers la RDC.