Zones protégées : les centres de rééducation du Burundi protègent les enfants détenus en prison

Au Burundi, quand des enfants sont inculpés pour des actes criminels, beaucoup d’entre eux sont envoyés dans des prisons où ils sont incarcérés aux côtés d’adultes

Par Eliane Luthi
UNICEF Burundi/2016/Haro
08 août 2016

RUMONGE, Burundi, 8 août 2016 – « Avant, nous jouions du tambour pour les rois », dit Yves*, 17 ans. « C’est une partie importante de la culture du Burundi. »

En voyant Yves diriger son groupe de tambourinaires en lui faisant jouer le refrain d’un nouveau chant, personne ne devinerait jamais qu’il a passé plus de deux années de sa vie à Mpimba, la plus importante prison du Burundi et aussi la plus surpeuplée. Orphelin et accusé d’avoir commis une agression sexuelle, ce qu’il nie, Yves, à travers sa propre expérience, sait à quel type d’horreurs les enfants peuvent être confrontés quand ils sont incarcérés aux côtés d’adultes.  Il a également passé ces deux ans et demi dans un état de faim permanente.

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Un vaste champ et les bâtiments du complexe qu’est le centre de rééducation de Rumonge. Le centre accueille des adolescents âgés de quinze à dix-sept ans qui étaient auparavant incarcérés dans les prisons pour adultes du Burundi.

« Chaque jour, on nous donnait seulement du riz et quelques grammes de haricots », se rappelle-t-il avec un frémissement.

Yves est l’un des soixante-dix garçons qui se trouvent actuellement au centre de rééducation de  Rumonge pour enfants ayant eu des démêlés avec la justice. Commodément situé à l’extérieur de la localité de Rumonge, bâtie au bord d’un lac, le centre accueille des adolescents âgés de quinze à dix-sept ans qui étaient auparavant incarcérés dans les prisons pour adultes du Burundi. Aux côtés d’un centre identique se trouvant à Ruyigi, dans l’est du Burundi, il est un élément à part entière de l’action que mène l’UNICEF dans le domaine de la justice dans le pays, une action dont le but est de faire en sorte qu’aucun enfant ne soit de nouveau envoyé dans une prison pour adultes.   

« Les prisons ont un caractère essentiellement punitif », explique Aline Kica Niyonkuru, spécialiste de la protection de l’enfance à l’UNICEF. « Mais ce n’est pas parce qu’un mineur a commis un délit qu’il doit être rejeté. Ces centres de rééducation donnent à ces enfants une seconde chance. Ils leur permettent d’être rééduqués et réinsérés plus tard dans la société. »

Les deux centres ont été inaugurés seulement deux jours avant qu’avant qu’éclate, en 2015, la crise sociopolitique et, évènement important pour les défenseurs des droits de l’enfant, tous les garçons détenus dans les onze prisons du Burundi ont été transférés vers ceux-ci.  

Mais, avec l’irruption de la crise et une vague d’arrestations massives liées aux troubles politiques, ces centres ont pris une importance nouvelle.

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Yves en train de tenir une baguette de tambour. Pour les enfants du centre, jouer du tambour est un moyen de conserver un bon moral.

Depuis avril 2015, plus de 300 enfants ont été arrêtés et détenus de façon arbitraire pour des motifs liés à la crise, notamment pour « avoir participé à des activités de groupes armés », beaucoup d’entre eux se retrouvant dans des prisons pour adultes.

Grâce à l’action de sensibilisation permanente menée par l’UNICEF et des partenaires comme le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HDCH) et Terre des Hommes, plus de cent de ces enfants ont été remis en liberté et se trouvent déjà en sécurité et sont de retour dans leurs familles. D’autres ont pu sortir de prison et ont pris place dans l’environnement sûr et protecteur du centre de rééducation en attendant que la justice se prononce sur leur affaire. Pour la seule année 2016, l’UNICEF et ses partenaires ont obtenu la sortie de prison et le transfert vers ces centres de transitions de soixante garçons.  
  

Garder un bon moral 

Avec de grandes fenêtres et de vastes espaces pour la pratique des sports et des jeux, le centre de Rumonge offre une ambiance gaie et accueillante à des enfants qui ont souvent connu des arrestations et des conditions de détention traumatisantes. Les matinées sont dévolues aux activités d’orientation et d’hygiène tandis que les après-midis sont consacrés à jouer au football ou au volley-ball, la formation professionnelle devant commencer dans les semaines à venir. Les  enfants ont également accès à des services juridiques pour le suivi de leur affaire.

Aujourd’hui, Yves dirige son groupe de tambourinaires en leur faisant jouer ses deux chants favoris, le premier portant sur la beauté du Burundi et le second sur une jeune femme du nom de Viviane. « Nous jouons aussi du tambour pour aider les autres enfants qui sont ici, pour rendre tout le monde heureux », dit Yves.

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Cyrille en train de jouer à l’urbuguzo, un jeu de société traditionnel du Burundi. Au centre de Rumonge, il est heureux mais il rêve de rentrer chez lui.

« Burundi, Burundi, tu es beau comme un jeune veau », chantent en chœur les tambourinaires. 

La nouvelle vie d’Yves ne ressemble plus en rien à ce qu’il a connu en prison.
 
« Maintenant, je dors sur un bon lit et j’ai assez à manger. La nourriture est variée, on ne mange pas tout le temps du pain de manioc. » 

Ce sentiment est partagé par Cyrille*, 16 ans, qui était employé de maison à Musaga et a été arrêté et inculpé pour un crime grave quand il a demandé à son employeur de lui régler son salaire non payé. 

« Ici, c’est  comme à la maison », dit-il en souriant. « J’ai des amis, nous pouvons jouer et étudier. »

Comme Yves, Cyrille apprécie les traditions du Burundi. Il joue depuis toujours à l’urbuguzo, le jeu de société traditionnel du Burundi.

« Mon rêve est de retourner chez moi et d’aider mes parents dans leur ferme de Gitega », dit-il. « J’aimerais aussi apprendre un second métier. »
  

Innovations en matière d’enseignement

Les enfants qui ont connu la détention ont souvent passé de longues périodes durant lesquelles ils ont été privés de toute possibilité d’étudier. Au centre de Rumonge, des stations numériques, alimentées par énergie solaire et pré-chargées avec des contenus hors-ligne, donnent à ces enfants la possibilité d’en apprendre plus sur les TIC et de mieux pouvoir compter et lire.

A boy works at a digital kiosk.
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A boy works at a digital kiosk. The kiosks are loaded with offline content give these children opportunities to learn more about ICT, numeracy, and literacy.

Installées en novembre 2015, ces stations offrent la possibilité d’une formation complémentaire en stimulant la curiosité et en améliorant l’employabilité future d’enfants qui sont souvent confrontés à la marginalisation et à la stigmatisation lorsqu’ils retournent chez eux. 

Après un an seulement de fonctionnement, les chiffres montrent déjà l’utilité et l’efficacité de ces centres. Le centre de Rumonge a déjà aidé 221 enfants ayant connu la détention et des problèmes avec la justice, certains d’entre eux ayant subi des sévices de la part d’adultes lors de leur arrestation et de leur détention. Jusqu’à présent, deux cas seulement de récidive ont eu lieu.

« Je suis très optimiste pour les enfants se trouvant dans ces centres », dit Jean Niyongabo, directeur du centre depuis son ouverture en avril 2015.

« Ici, je me sens libre », dit Yves, debout à côté de son tambour peint à la main et portant un drapeau du Burundi. « Un jour, j’aimerais être mécanicien. »

*Pour protéger les identités, les noms ont été modifiés